Ces principes posés, quelques vers seulement offraient à l’oreille humaine des conditions suffisantes d’harmonie pour que leur emploi se généralisât : celui de huit pieds, qui, par malheur, est manifestement trop court ; celui de dix pieds (c’est l’ancien vers français et le vers héroïque des Italiens, harmonieux, mais sans assez de puissance[1]) ; restent enfin l’alexandrin et le vers de quatorze ou seize syllabes. L’hésitation est impossible entre ces diverses formes du vers[2]. Le chiffre 12, seul divisible à la fois par deux, par trois, par quatre et par six, n’a rien de compact et de massif ; les rapports des divers membres entre lesquels on peut le diviser sont particulièrement faciles à saisir ; il offre prise de toutes parts à l’analyse. Enfin, pour emprunter ce qu’il y a de vrai, au point de vue physiologique, dans une remarque importante de M. Becq de Fouquières, l’alexandrin correspond à peu près au temps moyen de l’expiration ; or dans les vers
- ↑ Pourquoi le vers de dix pieds, qui a cessé depuis si longtemps de nous suffire, est-il resté le vers héroïque d’autres peuples ? Sans doute parce que, dans les autres langues, les accents toniques sont plus sonores et plus irréguliers qu’en français ; ces accents toniques introduisent une assez grande variété dans le vers de dix pieds, qui a pu se conserver ainsi, malgré sa simplicité de rythme et sa brièveté. Cette brièveté même se trouve diminuée par l’habitude qu’ont les autres peuples de chanter leurs vers ; le chant prolonge habituellement les syllabes plus que la simple parole. — Enfin, pour enlever au rythme sa monotonie, les autres peuples mêlent au hasard deux coupes possibles du vers de dix syllabes (4-6, 6-4), et souvent, comme en anglais, la troisième coupe (5-5) ; leur vers de dix pieds est ainsi plus varié que le nôtre ; il lui est supérieur, mais il nous paraît d’une sonorité moins ample et tout ensemble moins finement nuancée que l’alexandrin des V. Hugo et des A. de Musset.
- ↑ Voir plus loin, ch. III.