Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/211

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le vieil alexandrin, il en a proprement crée un nouveau, il aurait créé une métrique nouvelle.


Notre oreille, en changeant, a changé la musique.


Nous allons rechercher quels sont, d’après V. Hugo lui-même et ses disciples, les principes de cette métrique originale, et jusqu’à quel point ils peuvent se soutenir. Les romantiques ne se trompent-ils pas eux-mêmes quand ils essayent de formuler les règles de leur art, et existe-t-il un seul beau vers de V. Hugo qui échappe aux lois du vers précédemment posées ?

V. Hugo aime à le répéter, il a supprimé la césure et fait basculer la « balance hémistiche. » En même temps il a introduit l’enjambement et l’a fait « patauger » au beau milieu du vers, « comme le sanglier dans l’herbe et dans la sauge. » Quant à ses rimes, elles sont d’une sonorité inaccoutumée qui compense la liberté du rythme : le vieux Pinde frémit en les entendant « rugir « comme des « bêtes fauves. » La rime, écrivait-il jadis dans la préface de Cromwell, est le générateur même de notre mètre, et il ajoutait que le poète doit être toujours fidèle à la rime, cette « esclave reine. » Grâce à elle et par la suppression de la césure classique, le vers est affranchi. Autrefois, dit-il encore dans les Contemplations, le vers était un volant sur le front duquel on voyait piquées « douze plumes en rond, » et qui sans cesse sautait sur la raquette de la prosodie ; aujourd’hui, le volant se change en un oiseau battant de l’aile, il s’échappe de la « cage césure » et s’enfuit au fond des cieux, « alouette divine. »