Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/24

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l’entendant, ce n’est pas à lui que nous faisons attention, c’est au repas qu’il annonce ; au contraire, un carillon flamand nous forcera à l’écouter pour lui-même ; il ne nous annoncera rien, il ne nous servira à rien, et cependant il nous sera agréable. M. Spencer, en analysant le sentiment du beau, finit par arriver à une conséquence assez curieuse, déjà exprimée par Kant : c’est que le sentiment du beau est plus désintéressé que celui même du bon et du juste. En effet, M. Spencer, comme Darwin et toute l’école évolutionniste, donne pour origine première aux sentiments moraux le besoin et l’intérêt ; les sentiments esthétiques, au contraire, se ramenant au jeu, sont plus purs de toute idée utilitaire. Le beau a tout ensemble cette infériorité et cette supériorité sur le bien, qu’il est inutile. « Ce n’est pas le cri du désir, avait dit Schiller, qui se fait entendre dans le chant mélodieux de l’oiseau. »

Tels sont les principes généraux qui dominent la théorie évolutionniste du beau.

Pour compléter cette théorie, nous ajouterons que, si l’art ne sert pas à la vie d’une façon directe et immédiate, il finit par en aider le plein développement ; selon nous, c’est une gymnastique du système nerveux, une gymnastique de l’esprit. Si nous n’exercions tour à tour tous nos organes de la manière la plus complexe, il se produirait en nous une sorte de pléthore nerveuse, suivie d’atrophie, La civilisation humaine, qui multiplie en chacun de nous les capacités de toute sorte et qui en même temps, par une véritable antinomie, divise à l’excès les fonctions, a besoin de compenser par les jeux variés de