Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/26

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celui des fonctions réceptives (contemplation d’un tabloau, audition de la musique). Cette définition, qui enlève à l’action tout caractère esthétique, nous semble inacceptable. Il s’ensuivrait qu’un mouvement gracieux ne serait tel que pour les yeux des spectateurs et ne causerait aucun plaisir d’artiste à celui qui l’exécute. Les mouvements rythmés, la danse, perdraient en eux-mêmes toute valeur esthétique. Loin de contrarier ainsi le plaisir esthétique, le jeu des muscles, lorsqu’il est modéré, nous paraît y entrer comme élément. — En outre, distinguer la pure sensation de l’action est presque impossible : toute perception suppose un jeu de muscles et non pas seulement de nerfs ; l’œil juge la distance par des sensations musculaires ; l’organe vocal et les muscles de l’oreille nous fournissent des éléments essentiels dans l’appréciation du son. Il est impossible de dédoubler notre être, de supposer qu’en nous cela seul est esthétique qui est passif. Au contraire, dans les grandes jouissances de l’art, voir et faire tendent à se confondre ; le poète, le musicien, le peintre éprouvent un plaisir suprême à créer, à imaginer, à produire ce qu’ils contemplent ensuite. L’auditeur lui-même ou le spectateur jouit d’autant plus qu’il est moins passif, qu’il a une personnalité plus tranchée, que l’œuvre admirée est pour lui un sujet plus riche de pensées propres et comme un germe d’actions possibles. Lire un roman, c’est le vivre en une certaine mesure, à tel point que, si nous le lisons tout haut, nous tendons à mimer par le ton de la voix, quelquefois par le geste, le rôle des personnages. Dans une salle de théâtre, les acteurs ne sont pas les seuls à jouer la pièce ; les spectateurs aussi