Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/28

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suivant lui, parmi les œuvres humaines, tout ce qui n’est pas expressément fait en vue d’un jeu de nos organes ou de notre imagination, tout ce qui n’est pas de l’art pour l’art, serait dépourvu de beauté ; on peut sans doute admirer une œuvre savamment adaptée à tous les besoins, comme une halle, une gare, etc. ; mais tout cela ne saurait être beau. L’industrie et l’art vont en sens contraire. En systématisant la pensée de MM. Spencer et Grant Allen, il faudrait dire que la caractéristique d’un objet beau, c’est de n’avoir pas de but ou d’avoir un but simulé et imaginaire. La beauté consisterait avant tout dans l’inutilité, dans une sorte de tromperie que nous nous ferions à nous-mêmes : le sculpteur s’amuse avec son marbre et son ciseau comme le jeune lionceau avec la boule de bois placée dans sa cage. Aussi un objet beau, en tant que beau, ne répondrait-il jamais à un véritable besoin et ne pourrait-il exciter en nous ni désir ni crainte. Si une statue nous rendait amoureux comme Pygmalion, le but de l’art serait manqué ; de même, toute la beauté d’un drame tient à la fiction, et si les grandes scènes en étaient réalisées sous nos yeux, elles nous épouvanteraient. Ce qui est réel et vital exclurait donc par soi-même la beauté. Nous devons examiner avec soin cette théorie, partagée aujourd’hui par tant de penseurs.

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