Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/33

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M. Spencer prend comme exemple. Au lieu de supposer un besoin ou désir suivi d’un plaisir chez le personnage en quête des halles de Paris, il ne suppose qu’une suite d’efforts, de raisonnements et de calculs : or, le raisonnement est opposé au sentiment en général, à plus forte raison au sentiment esthétique. Acheter des aliments, faire des commissions, trouver son chemin, débattre des prix, n’est une besogne ni agréable ni belle ; mais aussi est-elle d’une utilité encore lointaine et générale, car elle ne produira son effet que quand l’heure du désir sera venue. Mais supposons qu’un voyageur, fatigué d’une longue course d’été, aperçoive aux halles un panier rempli de raisins ou de pèches savoureuses, capables, comme disait La Fontaine, de se faire par avance manger des yeux ; éprouvera-t-il, en avançant la main vers ces fruits, juste le contraire, juste « l’antithèse » du plaisir esthétique ? Nous ne le croyons pas ; nous croyons au contraire que certaines sensations de ce genre sont dignes d’être mises en comparaison de telle jouissance esthétique très élémentaire[1].

« Aussi longtemps, continue M. Spencer, que ma conscience est occupée à la fin que je poursuis, les sentiments qui accompagnent les activités déployées dans cette poursuite ne sont qu’incidentellement reconnus, ils n’emplissent pas la conscience ; mais, quand on ne poursuit plus de fin servant à la vie, alors les sentiments qui accompagnent l’action des facultés consacrées à cette poursuite et les plai-

  1. V. plus loin notre analyse des sensations du tact, du goût, etc.