gorgées de vin d’Espagne qui me furent données généreusement par des contrebandiers en des circonstances analogues, — et même la simple trouvaille d’une source sur le flanc d’une montagne désolée. Peut-être en général la soif satisfaite fournit-elle un plaisir plus délicat, plus esthétique que la faim ; elle produit, en effet, une réparation plus immédiate ; lorsque toutes deux se trouvent jointes et sont contentées à la fois, le plaisir est porté à son maximum. Les sensations du goût ont si bien un caractère esthétique qu’elles ont donné naissance à une sorte d’art inférieur : l’art culinaire. Ce n’est pas seulement par plaisanterie que Platon comparait ensemble la cuisine et la rhétorique. La Fontaine a aperçu quelque chose d’esthétique jusque dans une huître ouverte, s’offrant à deux gourmets enthousiasmés, A. de Musset, jusque dans un pâté chaud, d’un aspect délectable. Un des personnages du même Musset compare la voix de son amie à un bon génie
Qui porte dans ses mains un vase plein de miel.
Le Cantique des cantiques, cette œuvre de poésie ardente
qui a passionné de tout temps les mystiques, est pleine
d’images de ce genre : « Le parfum de ta bouche est
comme un vin excellent… Ton sein est une coupe où le vin
parfumé ne manque pas… Comme ton amour vaut mieux
que le vin !… Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée ; il
y a sous ta langue du miel et du lait… Mangez, amis,
buvez, enivrez-vous d’amour. » Toute la poésie des peuples