Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/92

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qu’il exerce et de laisser indifférent le reste de l’être ; cette indifférence souveraine était précisément l’idéal proposé à l’artiste par Schiller sous le nom de liberté : « Les Grecs, les interprètes les plus éminents de l’art, dit-il, transportaient dans l’Olympe ce qui devait être réalisé sur la terre… Ils affranchissaient leurs divinités bienheureuses des chaînes de tout devoir, de toute fin à atteindre, de tout souci, et faisaient du loisir et de l’indifférence le lot digne d’envie de la condition divine : ce qui n’était qu’une expression tout humaine pour désigner l’existence la plus libre et la plus sublime… Ils effaçaient des traits de leur idéal et l’inclination et toute trace de volonté… Chez leurs dieux il n’est point de force luttant contre des forces, nul côté faible qui livre passage à la vie du temps. » Cette théorie est celle du quiétisme dans l’art ; en voulant élever ainsi l’art au-dessus de la vie, au-dessus de la sphère de l’action et du désir, Schiller le rabaisse réellement au-dessous ; la prétendue liberté de ses dieux artistes et épicuriens, jouant sérieusement avec des apparences, ne vaut pas la dépendance où nous sommes par rapport aux émotions réelles et passionnées, aux souffrances ou aux joies de l’existence dans le temps. La comédie ne vaut pas la vie.

Loin d’être, comme le voulait Schiller, un signe nécessaire de supériorité, le jeu est le mouvement qui se rapproche le plus de la simple action réflexe ou instinctive, et, d’autre part, tout jeu, tout exercice facile et rapide d’un organe déterminé tend par l’habitude à se transformer en action réflexe. On connaît l’histoire de ce violoniste qui jouait