Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/16

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précaution que prenaient la plupart des débitants pour éviter la clientèle tumultueuse et peu lucrative des troupes allemandes.

Mais celles-ci avaient le nez fin et toujours elles allaient droit au café travesti.

Le désir de nous rafraîchir un peu nous tenta et pour remercier mon homme, je l’invitai à entrer au café !

« J’accepte volontiers, dit-il. D’ailleurs il fait si chaud, que j’allais vous faire la même proposition. »

La voiture fut donc rapprochée du mur, le cheval attaché, et nous entrâmes.

Je rirai toujours en pensant à la mine triste et déconfite que prit l’hôtelier, en nous voyant entrer. Il nous regardait de l’œil le plus dolent que j’eusse jamais vu.

J’en augurai un renchérissement incroyable des liquides : je ne me trompais pas.

« Que veulent ces messieurs ?

— Une bouteille de bière.

— Une bouteille de bière !… Mon Dieu ! D’où venez-vous donc ?

— De Nancy, tout droit.

— Eh bien, vous devriez savoir que les Prussiens nous ont tout pris… Tout, messieurs, et ce qu’ils n’ont pas bu, ils l’ont vidé dans la cave. Oui ! Les coquins ! Ils n’ont rien laissé au pauvre marchand !

— Alors, m’écriai-je, en me levant, nous n’avons qu’à partir et aller ailleurs.

— Attendez… Je vous le dis tout bas, j’ai réussi à cacher quelque chose, mais je vous le répète, n’en dites rien. Puisque ce sont des Français qui demandent, je veux bien donner une bouteille… De la bière, il n’y en a plus. Vous aurez du vin blanc, c’est tout ce qui me reste. »

Le cafetier savait vendre sa marchandise la plus chère. Je regardai mon compagnon.

« Si monsieur y consent, va pour le vin blanc.