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Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/33

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blessé à la jambe gauche. Ils me demandèrent la distance qui les séparait de Pont-à-Mousson.

« Vous allez sans doute au pays, me dit l’un d’eux, revoir la famille ?

— Oui, répondis-je.

— Ah ! que vous êtes heureux ! Moi, je ne reverrai plus la mienne.

— Où allez-vous ?

— À Paris !

— Vous n’y êtes pas encore ! »

Et je partis, rêvant à cette réponse faite si naïvement. À Paris !… Ah ! je ne croyais guère alors qu’il pourrait se faire un jour, que ces Prussiens auraient dit vrai ! À Paris !… Ces mots m’irritaient : je ne pouvais comprendre l’orgueil de ces Allemands et je voyais toute la France soulevée pour les arrêter.

Je ne savais rien de ce qui s’était passé près de Metz et je pensais qu’ils avaient peut-être déjà été vaincus et repoussés.

Avide de nouvelles, avide surtout de me battre, je reprenais ma course, comme si je n’avais pas marché depuis six heures du matin et fait déjà plus de 30 kilomètres, par une chaleur tropicale, le ventre garni d’un léger morceau de pain.

Aussi je songeais à chercher un gîte et je me représentais les délices d’un lit, sinon doux comme mon bon petit lit de Nancy, du moins propre et confortable.

Telles étaient les réflexions que je faisais en trottinant sur la route.


VI

La nuit commençait à tomber. Il était près de huit heures. Un ciel sombre et couvert de noirs