Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/59

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toute la grande plaine de Thionville. On se trouvait là, en haut d’un plateau élevé, dont l’accès était défendu par une pente rapide et des bois. La route que j’avais devant moi, descendait avec une inclinaison très prononcée et une fois le village passé, j’entrais pour ainsi dire dans mon pays.

Cette idée me donna du courage : c’était mon dernier danger, il fallait le braver hardiment. Je m’avançai donc d’un pas ferme dans la rue, les sentinelles me regardaient étonnées, mais elles ne me disaient rien. Je pouvais être un habitant du village, rentrant au logis, après un voyage.

À la sortie, même succès ! J’osais à peine croire à mon bonheur et j’étais déjà loin que je craignais d’entendre le mot fatal : halte !

Mais non ! J’étais bien libre, j’étais sorti du grand cercle d’investissement autour de Metz ! Les forts blanchissaient derrière moi, dans le ciel gris.

Je voyais les côtes de Thionville, la Moselle avec ses eaux bleues, les villages que je connaissais depuis mon enfance ! Je respirais l’air du pays ! Oh ! comme j’étais heureux en ce moment ! Je ne sentais plus la fatigue et je regardais les cinq ou six lieues qui me restaient à faire, comme une promenade.

« Je suis libre, me disais-je, ils n’ont pas encore foulé ce sol béni ! Je puis crier : Vive la France ! sans crainte. » Mais je me trompais, car déjà les Prussiens avaient visité toute la route, jusque près de Thionville, sur la rive droite de la Moselle, où je me trouvais, et ils venaient de descendre, pendant cette nuit même sur les bords de la rivière. C’est ce que j’appris dans un village, où je m’étais arrêté pour manger. Cependant ils n’avaient fait que passer, en éclaireurs, et n’avaient encore imposé aucune réquisition dans le pays.