Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/76

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nouvelle terrible, ou plutôt une rumeur vague, se répandit dans la ville : tout le monde était arrêté dans les rues, sur la place ; personne n’osait interroger, encore moins répondre.

Je me souviens encore de ce soir funeste : j’étais allé, en sortant de monter la garde, chez mon ami Kuntz, le pharmacien, dans la grande rue.

Quand j’ouvris la porte, je le trouvai assis dans son vieux fauteuil, la tête dans ses mains et pleurant.

« Qu’avez-vous, lui dis-je, mon cher Kuntz ! Un malheur est-il arrivé chez vous ? »

Il se leva sur ses grandes jambes et me dit :

« Mon pauvre Christian, nous sommes perdus : l’armée de Mac-Mahon est prisonnière, après avoir été vaincue à Sedan, et l’empereur a livré son épée. La République est déclarée à Paris. »

Et il me raconta que tout était affiché au long à l’hôtel de ville, qu’un parlementaire était encore venu sommer la ville de se rendre, en lui annonçant ces tristes nouvelles et mille autres choses que m’expliqua le pauvre pharmacien.

Cependant je ne pouvais croire à tant de malheurs, et la ville resta toujours dans le doute. D’ailleurs n’avions-nous pas à Metz une armée puissante ? La plus vieille armée de France, celle qui avait combattu dans tant de pays !

Nous ne devions pas encore désespérer.

Mais depuis quelques semaines, les canons de Metz restaient silencieux : on s’étonnait que le maréchal ne fît pas une grande sortie.

Des journaux apportés par des paysans qui réussissaient à s’introduire dans la place, nous apportaient des nouvelles étranges sur les affaires de Metz.

On ne savait plus que penser, mais on attendait toujours.

Un matin, je traversais la place d’armes ; je fus surpris du tumulte et du désordre qui régnaient dans la