Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/89

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Mon père viendra avec nous et nous oublierons un peu nos chagrins.

Courage, mon pauvre Christian, prends patience et ne tarde pas à nous écrire. Ta mère t’embrasse bien fort, et mon père et moi nous t’embrassons aussi comme nous t’aimons. »


Cette bonne lettre me rendit courage : je vis le moment peut-être bien rapproché où ma mère et nos bons amis seraient à Coblentz et pourraient me voir souvent.

J’écrivis plusieurs lettres et j’en reçus toujours de plus rassurantes : cependant la santé de ma pauvre mère ne lui permettait pas encore d’entreprendre le voyage tant rêvé.

Nous étions arrivés à la fin de janvier ; le froid était de plus en plus violent et à peine pouvions-nous nous réchauffer dans nos baraques de bois.

Les nouvelles les plus affligeantes nous arrivaient de France, soit par les lettres des parents qui n’étaient pas dans la zone occupée, soit par les journaux allemands que nous pouvions lire.

Les Prussiens, d’ailleurs, ne se faisaient pas scrupule de nous annoncer victoires sur victoires, et la ville retentissait de cris joyeux : ils insultaient à notre malheur !

Enfin la nouvelle de la capitulation de Paris nous arriva vers la fin du mois, et les Allemands s’étonnaient que nous ne fussions pas contents !

« Vous allez retourner chez vous, disaient-ils, car on fera bientôt la paix ! »

Mais hélas ! la pensée du retour pouvait-elle compenser le chagrin profond que nous causaient les revers de notre pauvre patrie !

Et puis une nouvelle crainte venait de surgir dans tous les cœurs des Alsaciens et des Lorrains : les Prussiens parlaient déjà de prendre notre pays, de nous arracher malgré nous à notre nationalité.