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Page:Hélène de Bauclas Ma soeur inconnue 1946.djvu/32

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fervent. C’était vrai et Christiane le savait, mais elle avait tout de même un sourire un peu moqueur.

Un jour pourtant il vint vers la fin de la matinée, à une heure où il savait trouver Christiane seule. Il paraissait soucieux.

— Écoute, Cri-Cri, je voudrais bien savoir ce que Mlle de la Palud pense de moi.

— Mais… Je ne sais trop, dit Christiane interloquée. Elle doit penser que tu es un très gentil garçon.

— Oui, c’est cela, un gentil garçon. Tout le monde me trouve un très gentil garçon. Mais, ma petite sœur, je suis terriblement amoureux d’elle, moi, et ça ne me suffit pas qu’elle me trouve un gentil garçon.

— Ah ! je l’avais bien deviné, que tu l’aimais. Et ça ne m’étonne pas, elle est ravissante !

— N’est-ce pas ? Si fine, si gracieuse, comme une statuette antique. Je suis persuadé que si l’on pouvait connaître tous ses ascendants, on lui trouverait comme ancêtres ces Grecs qui colonisèrent la vallée du Rhône. Mais est-ce qu’elle m’aime, moi ? Oh ! je ne lui demande pas de voir en moi un héros de roman. Et je ne pense pas non plus que mon bras abîmé m’empêche d’être aimé. Il n’y a qu’à vous voir, toi et Bernard, pour être convaincu du peu d’importance qu’une infirmité comme la nôtre peut avoir en amour. Il y a même là quelque chose qui me chiffonne. Je l’intéresse peut-être, en raison même de mon infirmité, et elle craindrait de me froisser en me repoussant, de peur que je ne me figure que c’est à cause de mon infirmité…

— Encore un coupeur de cheveux en quatre ! s’écria Christiane avec consternation. Bernard aussi s’est amusé à cela, autrefois. Il me l’a raconté. C’est Jeanine Soubeyran — tu te souviens de ces Soubeyran, de Nîmes, qui étaient à notre mariage et que tu as trouvés charmants ? — et bien, c’est cette Jeanine qui l’a chapitré et lui a fait comprendre que l’amour d’une femme était bien plus simple qu’il ne l’imaginait. Comprends-le aussi, je t’en prie. Il faut te déclarer à Huguette, lui avouer ton amour. Savoir si elle y répond et non pas ce qu’elle pense de toi, ça n’a aucune importance.

— Comment, ça n’a aucune importance ?

— Parfaitement. Si elle t’aime, elle n’aura pas sur toi une opinion ! Elle saura seulement que tu es celui auprès de qui elle est heureuse et qui, entre tous, fait battre son cœur.

— Oui, eh bien, pour savoir si je l’ai émue à ce point-là, — ce qu’il serait bien présomptueux de ma part d’espérer — j’ai besoin de toi, Cri-Cri.

— Besoin de moi ?

— Parce que si je le lui demande moi-même, je suis sûr, à cause de mon sacré bras, qu’elle sera gênée pour me répondre.

Christiane leva vers le ciel des yeux et des bras désespérés.

— Quel entêté !

— Je t’en supplie, mon petit Cri-Cri, fais cela pour ton frère, ton unique frère.

— Ah ! là, là. Que veux-tu que je fasse ?

— Elle va venir cet après-midi, n’est-ce pas ? Et bien, je me mettrai dans la salle à manger dont tu laisseras la porte légèrement entr’ouverte, une fente tout juste, et, j’entendrai ce qu’elle répondra, car tu l’interrogeras adroitement.

— C’est un abus de confiance, Gaston !

— Possible, mais il faut que j’entende l’accent de sa voix. Alors seulement, je serai fixé. Et cela nous évitera une scène pénible si… si elle ne m’aime pas. Tu veux bien, dis ?

— Ah ! je ne peux pas refuser. Mais ce stratagème de comédie me déplaît beaucoup. Ça va mal tourner, tu verras, En tous cas, aie soin, en venant cet après-midi, d’aller attacher Mutin à la ferme, pour que Huguette ne le voie pas quand elle arrivera.

— Bien sûr ! Et merci, tu es une chic petite sœur.

Le début du scénario se déroula très bien. Gaston s’embusqua derrière la porte et, dix minutes après, Huguette faisait son apparition… Mais, dès son entrée, tout se gâta. Elle était pâle et agitée.

— Christiane, est-ce que Gaston est là ? Je veux dire Monsieur Reillanne.

— N-non, balbutia Christiane d’une voix étranglée, en se maudissant pour la restriction mentale dont elle se rendait coupable.