Page:Hémon - Lizzie Blakeston, 1908.djvu/21

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mais on peut toujours regarder le programme. » Lizzie lut les noms l’un après l’autre, saluant ceux des étoiles d’exclamations admiratives : « George Mozart ! Will Evans !… Chirgwin ! Oh ! oncle ! Chirgwin !… »

L’oncle eut une moue évasive :

— Oui, ça n’est pas mauvais ; mais voyons, qu’est-ce qu’ils donnent la semaine prochaine. Et ça ! Qu’est-ce que c’est que ça ?

« Ça » était une affiche jaune qui annonçait que la direction, afin de mettre au jour des talents nouveaux susceptibles d’orner la scène d’un music-hall, organisait pour la quinzaine suivante un grand concours ouvert aux seuls amateurs des deux sexes, qui étaient invités à présenter devant le jury formé de personnalités du quartier un numéro de leur composition.

Lizzie lut l’affiche à demi-voix d’un ton placide, distraitement, et se retournant, rencontra le regard de l’oncle, qui se frottait le menton en la contemplant d’un air gouailleur. Ce fut seulement alors qu’elle comprit, et la chose lui parut sur le moment d’une si prodigieuse énormité qu’elle ne put qu’arrondir les yeux, hausser les épaules, et les doigts raidis d’émotion, laisser échapper un long soupir, pendant que tous les becs de gaz de la façade entamaient devant ses yeux un sarabande hystérique. Puis elle demeura immobile sur le trottoir, la tête encore vide de toute idée, la bouche ouverte et arrondie en « O », retenant son souffle ; et le bruit des voitures et des tramways sur la chaussée, un moment suspendu, revint emplir ses oreilles comme un tonnerre confus.

Le premier instant de stupeur passé, elle comprit plus clairement, et embrassant d’un regard le large trottoir inondé de lumière, la façade imposante et le portier en uniforme, douta d’elle-même.

— Oh ! oncle ! fit-elle. Vous croyez ?

L’oncle eut un sourire supérieur.

— J’en fais mon affaire, dit-il. Nous avons encore quinze jours, petite ! et vous êtes en bonnes mains.

Après un instant de silence il ajouta :

— Et le premier prix est de deux livres.

Ils allèrent un peu plus loin dans Mile-End road, revinrent sur leurs pas et s’arrêtèrent de nouveau pour lire l’affiche avec attention, puis ils rentrèrent. Lizzie marchait avec assurance au milieu du trottoir ; elle se tenait très droite et ses joues cuisaient un peu, mais sa surprise s’était tout à fait dissipée.

Elle se disait à elle-même très posément qu’elle aurait bien pu deviner que c’était quel-