Page:Hémon - Lizzie Blakeston, 1908.djvu/24

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bien blanche, les manches relevées jusqu’aux coudes, et sans chapeau.

Lizzie le regarda avec horreur, — parut se soumettre lentement et dit d’une voix tremblante :

— Et la jupe ?

L’oncle eut un moment d’hésitation.

— Ah ! la jupe ! dit-il. Il faudra voir.

Il se gratta la tête d’un air rêveur, et songea.

— La jupe, reprit-il, ça n’a pas grande importance. N’importe quel jupon court pas trop mauvais fera l’affaire ; tout ce qu’il faut, c’est qu’il soit assez court pour ne pas gêner et pour bien laisser voir le travail des pieds.

Comme Lizzie ne paraissait pas convaincue, il continua d’une voix persuasive :

— Voyez-vous, petite, ce que vous voulez montrer, c’est quelque chose de distingué. Pas un numéro de danseuse nègre, avec des robes à paillettes, des coups de rein et des hurlements. Non ; rien que la plate-forme, l’orchestre qui jouera un air, et vous. Vous avez des dispositions, et je vous ai montré du mieux que j’ai pu.

L’oncle sembla se débattre avec son vocabulaire, plein d’un grand désir d’exprimer sa pensée ; il déploya les paumes et devint solennel.

— De la danse comme ça, petite, ça n’est pas tout le monde qui peut la comprendre ! Mais ça vaut mieux ; c’est décent, et c’est distingué. D’abord s’il s’agissait de faire des singeries sur la scène vous ne sauriez pas : ça n’est pas dans la famille. Au lieu de ça vous allez leur montrer ce que vous savez faire : du travail propre, et joli ; et ceux qui n’y verront rien c’est tant pis pour eux. Mais il ne faut pas oublier une chose, petite ! C’est que si vous voulez avoir les deux livres, et peut-être quelque chose avec, il faut leur montrer de la danse pour de vrai, et pas des singeries !

Lizzie hocha la tête, sérieuse : elle avait compris. Mais ces conseils étaient superflus ; elle avait une mission, qui n’était certes pas de faire des grimaces et des cabrioles. L’oncle lui-même ne considérait l’épreuve de samedi que comme une occasion heureuse dont il fallait essayer de profiter. Elle, Lizzie, en savait davantage. À partir de samedi tout allait changer ; l’horloge du temps allait s’arrêter une seconde et repartir, allègre, pour battre la cadence heureuse des jours nouveaux ; c’était un miracle authentique, révélé à elle seule, qui venait en secret et dont il faudrait se réjouir en cachette : la réalisation d’une promesse faite il y avait longtemps, longtemps, à une petite fille sage qui avait patiemment attendu.


C’était l’impression qui la dominait encore