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MARIA CHAPDELAINE

pleines de pâte, et après cela il ne restait plus qu’à surveiller le feu et à changer les boîtes de place au milieu de la cuisson.

Le four avait été bâti trop petit, cinq ans auparavant, et depuis la famille n’avait jamais manqué de parler toutes les semaines du four neuf qu’il était urgent de construire, et qui en vérité devait être commencé sans plus tarder ; mais par une malchance sans cesse renouvelée, l’on oubliait à chaque voyage de faire venir le ciment nécessaire ; de sorte qu’il fallait toujours deux et quelquefois trois fournées pour nourrir pendant une semaine les neuf bouches de la maison. Maria se chargeait invariablement de la première fournée ; invariablement aussi, quand la deuxième fournée était prête et que la soirée s’avançait déjà, la mère Chapdelaine disait charitablement :

— Tu peux te coucher, Maria, je guetterai la deuxième cuite.

Maria ne répondait rien ; elle savait fort bien que sa mère allait tout à l’heure s’allonger sur son lit tout habillée, pour se reposer un instant, et qu’elle ne se réveillerait qu’au matin. Elle se contentait donc de raviver la boucane qu’on faisait tous les soirs dans le vieux seau percé, enfournait la deuxième cuite et venait s’asseoir sur le seuil, le menton dans ses mains, gardant à travers les heures de la nuit son inépuisable patience.

À vingt pas de la maison le four, coiffé de