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MARIA CHAPDELAINE

chutes se rapproche et grandit ; le vent du nord-ouest fait osciller un peu les cimes des épinettes et des sapins avec un grand bruissement frais qui est doux à entendre ; plusieurs fois de suite, et de plus en plus loin, un hibou crie. Le froid qui précède l’aube est encore loin, et Maria se trouve parfaitement heureuse de rester assise sur le seuil et de guetter la raie de lumière rouge qui vacille, disparaît et luit de nouveau au pied du four.

Il lui semble que quelqu’un lui a chuchoté longtemps que le monde et la vie étaient des choses grises. La routine du travail journalier, coupée de plaisirs incomplets et passagers ; les années qui s’écoulent, monotones, la rencontre d’un jeune homme tout pareil aux autres, dont la cour patiente et gaie finit par attendrir ; le mariage, et puis une longue suite d’années presque semblables aux précédentes, dans une autre maison. C’est comme cela qu’on vit, a dit la voix. Ce n’est pas bien terrible et en tout cas il faut s’y soumettre ; mais c’est uni, terne et froid comme un champ à l’automne.

Ce n’est pas vrai, tout cela. Maria secoue la tête dans l’ombre avec un sourire inconscient d’extase, et songe que ce n’était pas vrai. Lorsqu’elle songe à François Paradis, à son aspect, à sa présence, à ce qu’ils sont et seront l’un pour l’autre, elle et lui, quelque chose frissonne et brûle tout à la fois en elle. Toute sa forte