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MARIA CHAPDELAINE

la mort d’un être humain que les dieux rappellent trop tôt, sans lui donner sa juste part de vie.

À travers le froid qui venait, les premières gelées, les menaces de neige, l’on retardait pourtant et l’on remettait de jour en jour la moisson, pour permettre au pauvre grain de dérober encore un peu de force aux sucs de la terre et au tiède soleil. Il fallut moissonner pourtant, car octobre venait. L’avoine et le blé furent coupés et mis en grange sous un ciel clair, sans éclat, au temps où les feuilles des bouleaux et des trembles commencent à jaunir.

La récolte de grain fut médiocre ; mais les foins avaient été beaux, de sorte que l’année dans son ensemble ne méritait ni transports de joie ni doléances. Et pourtant, les Chapdelaine ne cessèrent de déplorer longtemps encore, dans leurs conversations du soir, et la sécheresse sans précédent d’août, et les gelées sans précédent de septembre, qui avaient trahi leurs espoirs. Contre l’avarice du trop court été et les autres rigueurs d’un climat sans indulgence ils n’avaient aucune révolte, même d’amertume ; seulement ils comparaient toujours dans leur esprit la saison écoulée à quelque autre saison miraculeuse dont leur illusion faisait la règle ; et c’est ce qui mettait constamment sur leurs lèvres cette éternelle