Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
MARIA CHAPDELAINE

bon accueil à la vraie tire, dont la confection ne faisait que commencer. Car il fallait parachever la cuisson, et, une fois la pâte prête, l’étirer longuement pendant qu’elle durcissait. Les fortes mains grasses de la mère Chapdelaine manièrent cinq minutes durant l’écheveau succulent qu’elles allongeaient et repliaient sans cesse ; peu à peu leur mouvement se fit plus lent, puis une dernière fois la pâte fut étirée à la grosseur du doigt et coupée avec des ciseaux, à grand effort, car elle était déjà dure. La tire était faite.

Les enfants en mâchaient déjà les premiers morceaux quand des coups furent frappés à la porte.

— Eutrope Gagnon, fit le père. Je me disais aussi que ce serait bien rare s’il ne venait pas veiller avec nous ce soir.

C’était Eutrope Gagnon, en effet. Il entra, souhaita le bonsoir à tout le monde, posa son casque sur la table… Maria le regardait, une rougeur aux joues. La coutume veut que le jour de l’An les garçons embrassent les filles, et Maria savait fort bien qu’Eutrope, malgré sa timidité, allait se prévaloir de cet usage ; elle restait immobile près de la table et attendait, sans ennui, mais pensant à cet autre baiser qu’elle aurait aimé recevoir.

Pourtant le jeune homme prit la chaise qu’on lui offrait et s’assit, les yeux à terre.