Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/179

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sur le chemin durci, ramenant les deux voyageurs vers leur maison solitaire, Maria, se rappelant les commandements du curé de Saint-Henri, chassa de son cœur tout regret avoué, et tout chagrin, aussi complètement que cela était en son pouvoir et avec autant de simplicité qu’elle en eût mis à repousser la tentation d’une soirée de danse, d’une fête impie ou de quelque autre action apparemment malhonnête et défendue.

Ils arrivèrent chez eux comme la nuit tombait. Le soir n’avait été qu’un lent évanouissement de la lumière ; car depuis le matin le ciel était demeuré gris et le soleil invisible. De la tristesse pesait sur le sol livide ; les sapins et les cyprès n’avaient pas l’air d’arbres vivants, et les bouleaux dénudés semblaient douter du printemps. Maria sortit du traîneau en frissonnant et n’accorda qu’une attention distraite aux jappements de Chien, à ses gambades, aux cris des enfants qui l’appelaient du seuil. Le monde lui paraissait curieusement vide, tout au moins pour un soir. Il ne lui restait plus d’amour et on lui défendait le regret. Elle entra dans la maison très vite sans regarder autour d’elle, éprouvant un sentiment nouveau fait d’un peu de crainte et d’un peu de haine pour la campagne déserte, le bois sombre, le froid, la neige, toutes ces choses parmi lesquelles elle avait toujours vécu et qui l’avaient blessée.