Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/189

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qu’on soit assis à table, voilà un enfant qui crie : « Les vaches ont sauté la clôture » ; ou bien : « Les moutons sont dans le grain. » Et tout le monde se lève et part à courir, en pensant à l’avoine ou à l’orge qu’on a eu tant de mal à faire pousser et que ces pauvres fous d’animaux gaspillent. Les hommes galopent, brandissent des bâtons, s’essoufflent ; les femmes sortent dans la cour et crient. Et puis quand on a réussi à remettre les vaches ou les moutons au clos et à relever les clôtures de pieux, et qu’on rentre, bien « resté », on trouve la soupe aux pois refroidie et pleine de mouches, le lard sous la table, grugé par les chiens et les chats, et l’on mange n’importe quoi, en hâte, avec la peur du nouveau tour que les pauvres brutes sont peut-être à préparer encore.

« Vous êtes les serviteurs de vos animaux : voilà ce que vous êtes. Vous les soignez, vous les nettoyez ; vous ramassez leur fumier comme les pauvres ramassent les miettes des riches. Et c’est vous qui les faites vivre à force de travail, parce que la terre est avare et l’été trop court. C’est comme cela et il n’y a pas moyen que cela change, puisque vous ne pouvez pas vous passer d’eux ; sans animaux on ne peut pas vivre sur la terre. Mais quand bien même on pourrait… Quand bien même on pourrait… Vous auriez encore d’autres maîtres :