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XV
PRÉFACE

cheur en s’épanouissant ainsi sur ses brisées, sur ses pas. C’est le leitmotiv fleuri de la carrière même du bûcheron canadien. Et dans ce livre qui fait l’effet d’un pastel en grisaille, cette tache de pourpre royale, cette note de beauté claire et triomphante, cette simple touffe d’épilobes m’eût ravi.

Mais qui sait si ce n’est pas pour brosser plus largement ses paysages, ainsi qu’il convenait aux horizons si vastes du « pays de Québec », que l’auteur a négligé ces détails et ces fioritures, et pour obtenir des raccourcis saisissants qui sont plus difficiles à rendre qu’il n’apparaît au lecteur indifférent au métier de l’écrivain ? Et qui sait si le mot de Voltaire ne l’a pas aussi bien guidé : « Le secret d’ennuyer est celui de tout dire » ?

Sans doute, l’œuvre de Louis Hémon se serait bien trouvée de certaines petites retouches, ici et là, d’un dernier fion comme les bons peintres en donnent à leur toile, la veille du vernissage. Mais il faut tenir compte que l’auteur a expédié son manuscrit à sa famille sans y attacher plus d’importance qu’à un essai, et qu’il n’était plus là, hélas ! pour le vernissage, je veux dire pour l’exposition de son tableau dans le Temps.

Il ne m’advient en aucune façon d’apprécier ce roman comme œuvre française. Là n’est point mon affaire. Le lecteur s’en rapportera pour cela à M. Émile Boutroux, l’éminent philosophe dont me voilà le co-préfacier de par la fortuité des circonstances qui m’ont conféré cet honneur périlleux. Il n’est cependant pas besoin d’être un grand clerc pour constater que ce récit, tel quel, se tient parfaitement d’un bout à l’autre, que le style est à souhait en harmonie avec le sujet traité, et d’une couleur locale délicieuse ; que toutes ces pages sont à point et que certaines sont superbes de vérité, de relief, de vie. La scène du père Chapdelaine franchissant en voiture la Péribonka au dégel est frissonnante depuis les sabots du vieux cheval jusqu’au toupet du bonhomme. Bien d’autres sont vivantes autant que scènes peuvent vivre dans un tableau à la plume : la veillée du jour de l’an dans le désert des bois, la narration de l’aventure tragique de François Paradis « qui s’est écarté », la lutte d’Edwige Légaré contre les souches, la cueillette des bleuets, les Pater et les Ave de Maria, les derniers moments de la mère Chapdelaine, la visite du médecin, du remmancheur et du prêtre, l’oraison funèbre de la défunte par le père Chapdelaine et les familiers qui n’ont cependant rien de Bossuet… Pour admirer la reproduction que l’auteur a faite de ces scènes, à défaut de science littéraire