Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/192

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ricanements prophétiques de malchance ou des silences plus terribles encore.

« Te souviens-tu des beaux garçons aimés que nous avons tués et cachés dans le bois, ma sœur ? Leurs âmes ont pu nous échapper ; mais leurs corps, leurs corps, leurs corps… personne ne nous les reprendra jamais… »

Le bruit du vent aux angles de la maison ressemble à un rire lugubre, et il semble à Maria que tous ceux qui sont réunis là entre les murs de planches courbent l’échine et parlent bas, comme des gens dont la vie est menacée, et qui craignent.

Sur tout le reste de la veillée un peu de tristesse pesa, tout au moins pour elle. Racicot racontait des histoires de chasse, des histoires d’ours pris au piège, qui se démenaient et grondaient si férocement à la vue du trappeur, que celui-ci tremblait et perdait le courage, et puis qui s’abandonnaient tout à coup quand ils voyaient les chasseurs revenir en nombre et les fusils meurtriers braqués sur eux ; qui s’abandonnaient, se cachaient la tête entre leurs pattes et se lamentaient avec des cris et des gémissements presque humains, déchirants et pitoyables.

Après les histoires de chasse vinrent des histoires de revenants et d’apparitions ; des récits de visions terrifiantes ou d’avertissements prodigieux reçus par des hommes qui avaient