Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/205

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et quand mai viendra j’en aurai grand prêt à être semé. Je sèmerai cent trente minots, Maria… cent trente minots de blé, d’orge et d’avoine, sans compter un arpent de « gaudriole » pour les animaux. Tout ce grain-là, du beau grain de semence, je l’achèterai à Roberval et je payerai « cash » sur le comptoir, de même… J’ai l’argent de côté tout prêt ; je payerai cash, sans une cent de dette à personne, et si seulement c’est une année ordinaire, ça fera une belle récolte. Pensez donc, Maria, cent trente minots de beau grain de semence dans de la bonne terre ! Et pendant l’été, avant les foins, et puis entre les foins et la moisson, ça serait le bon temps pour élever une belle petite maison chaude et solide, toute en épinette rouge. J’ai le bois tout prêt, coupé, empilé, derrière ma grange ; mon frère m’aidera, et peut-être aussi Esdras et Da’Bé quand ils seront revenus. L’hiver d’après je monterai aux chantiers avec un cheval et je reviendrai au printemps avec pas moins de deux cents piastres dans ma poche, clair. Alors, si vous avez bien voulu m’attendre, ça serait le temps…

Maria restait appuyée à la porte, une main sur le loquet, détournant les yeux. C’était cela tout ce qu’Eutrope Gagnon avait à lui offrir : attendre un an, et puis devenir sa femme et continuer la vie d’à présent, dans une autre maison de bois, sur une autre terre mi-défri-