Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et suivait comme une ombre, interminable bande sombre entre la blancheur froide du sol et le ciel gris.

— Charles-Eugène, marche un peu !

Le père Chapdelaine s’était réveillé et étendait la main vers le fouet dans son geste habituel de menace débonnaire ; mais quand le cheval ralentit de nouveau après quelques foulées plus vives, il s’était déjà rendormi, les mains ouvertes sur ses genoux et montrant les paumes luisantes de ses mitaines en cuir de cheval, le menton appuyé sur le poil épais de son manteau.

Au bout de deux milles, le chemin escalada une côte abrupte et entra en plein bois. Les maisons qui depuis le village s’espaçaient dans la plaine s’évanouirent d’un seul coup, et la perspective ne fut plus qu’une cité de troncs nus sortant du sol blanc. Même l’éternel vert foncé des sapins, des épinettes et des cyprès se faisait rare ; les quelques jeunes arbres vivants se perdaient parmi les innombrables squelettes couchés à terre et recouverts de neige, ou ces autres squelettes encore debout, décharnés et noircis. Vingt ans plus tôt les grands incendies avaient passé par là, et la végétation nouvelle ne faisait que poindre entre les troncs morts et les souches calcinées. Les buttes se succédaient, et le chemin courait de l’une à l’autre en une succession de descentes et de montées guère