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PRÉFACE

(canadienne)


C’est pour déférer au désir de la famille Hémon que je formule en préface les raisons qui m’ont fait solliciter l’autorisation d’éditer Maria Chapdelaine au Canada. Ces raisons, toutefois, n’intéresseront que moyennement les lecteurs de France ; car c’est, avant tout, pour fournir aux jeunes écrivains de mon pays un modèle de littérature canadienne que j’ai souhaité la publication de cette œuvre chez nous.

Ce petit roman, qui excède à peine les dimensions d’une nouvelle, a paru dans le Temps de Paris, en janvier-février 1914. Des feuilletons en tombèrent sous les yeux de quelques-uns de nos littérateurs qui furent intrigués de la provenance de ce récit portant un titre et une signature dont les Canadiens s’accomodaient tout naturellement, sans cependant les avoir vus nulle part. À ce que pensaient les uns, il provenait d’un maître écrivain français qui s’était amusé à mettre un pseudonyme à son œuvre — encore qu’il leur fût difficile de concevoir qu’un écrivain de France eût pu recueillir des impressions aussi minutieuses et aussi profondes au cours d’un voyage officiel comme le sont, pour la plupart, les voyages de littérateurs renommés qui nous font l’honneur d’une visite. D’autant plus que les auteurs de France qui se sont parfois avisés de situer au Canada la scène d’un roman ne nous ont point habitués à tant de précision de leur part.

Les autres soutenaient là-contre que l’auteur était canadien, parce que la nature canadienne ne peut être aussi familière qu’à un écrivain de chez nous — encore qu’il leur fût aussi malaisé d’admettre qu’un jeune auteur du pays eût acquis d’emblée cette maîtrise sans s’être préalablement révélé par quelques essais promettant un pareil accomplissement. Quant à attribuer cet ouvrage à l’un de nos aînés… Mais ne faisons pas de malices, d’abord parce que nos bons romanciers sont connus et appréciés à juste titre ; ensuite, parce que le privilège de faire des malices est réservé à ceux qui professent que nous sommes en tous points parvenus au nec plus ultra

Survenant donc sans un mot de présentation, Maria Chapdelaine nous trouva ainsi perplexes et nous tint dans ce dilemme jusqu’à ce que la lumière, encore une fois, nous vînt de France.