Page:Hémon - Maria Chapdelaine, 1916.djvu/60

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quelque part, lui et les siens seraient maintenant à leur aise.

À leur aise… Ô Dieu redoutable des Écritures, que tous ceux du pays de Québec adorent sans subtilité ni doute, toi qui condamnas tes créatures à gagner leur pain à la sueur de leur front, laisses-tu s’effacer une seconde le pli sévère de tes sourcils, lorsque tu entends dire que quelques-unes de ces créatures sont affranchies, et qu’elles sont enfin à leur aise ?

À leur aise… Il faut avoir besogné durement de l’aube à la nuit avec son dos et ses membres pour comprendre ce que cela veut dire ; et les gens de la terre sont ceux qui le comprennent le mieux. Cela veut dire le fardeau retiré : le pesant fardeau de travail et de crainte. Cela veut dire une permission de repos qui, même lorsqu’on n’en use pas, est comme une grâce de tous les instants. Pour les vieilles gens cela veut dire un peu d’orgueil approuvé de tous, la révélation tardive de douceurs inconnues, une heure de paresse, une promenade au loin, une gourmandise ou un achat sans calcul inquiet, les cent complaisances d’une vie facile.

Le cœur humain est ainsi fait que la plupart de ceux qui ont payé la rançon et ainsi la liberté — l’aise — se sont, en la conquérant, façonné une nature incapable d’en jouir, et continuent leur dure vie jusqu’à la mort ; et c’est à ces autres, mal doués ou mal-