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MARIA CHAPDELAINE

Mais il s’interrompit en la voyant venir et poussa un rugissement :

— De l’eau « frette » ! Blasphème ! Donnez-moi de l’eau frette !

Il saisit le seau, en vida la moitié, se versa le reste sur la tête et dans le cou et aussitôt, ruisselant, se jeta de nouveau sur la souche vaincue et commença à la rouler vers un des tas comme on emporte une prise.

Maria resta là quelques instants, regardant le labeur des hommes et le résultat de ce labeur, plus frappant de jour en jour, puis elle reprit le chemin de la maison, balançant le seau vide, heureuse de se sentir vivante et forte sous le soleil éclatant, songeant confusément aux choses heureuses qui étaient en route et ne pouvaient manquer de venir bientôt, si elle priait avec assez de ferveur et de patience.

Déjà loin, elle entendait encore les voix des hommes qui la suivaient, se répercutant au-dessus de la terre durcie par la chaleur. Esdras, les mains déjà jointes sous un jeune cyprès tombé, disait d’un ton placide :

— Tranquillement… ensemble !

Légaré se colletait avec quelque nouvel adversaire inerte, et jurait d’une voix étouffée.

— Blasphème ! je te ferai bien grouiller, moué…

Son halètement s’entendait aussi, presque aussi fort que ses paroles. Il soufflait une se-