Aller au contenu

Page:Hériot - Une âme à la mer, 1929.pdf/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
une âme à la mer

je suis lasse et je retiens dans mon regard des larmes qui ne couleront pas — j’ai des amies autour de moi — ils pourraient se tromper de visage, non, je sais, ils ont cherché le plus triste, le plus solitaire et le plus marin ; ils l’ont trouvé, et tous suivent mes mouvements. Mon ancien cher bateau où mes années les plus belles se sont écoulées, années ensoleillées de bonheur et d’illusions. Comme vous avez changé sous votre pavillon étranger, comme j’ai changé sous mon même visage.

Si j’avais pu choisir une autre place de l’autre côté du port, j’y serais allée ; je ne suis pas prête à supporter cette peine.

Je suis bouleversée par la présence si proche du bateau de mon enfance.

Je le regarde comme un être bien-aimé que l’on ne reconnaît plus tout à fait, les années ayant altéré ses lignes.

Une sorte d’attirance m’oblige à rester là ; je ne puis le quitter des yeux. Non vraiment je ne savais plus la place qu’il tenait dans mon cœur.

Je n’ose cependant trop le regarder, à cause des propriétaires, de l’équipage qui parlent sur le pont. Par une sorte de pudeur, je descends dans le carré.

Une heure sonne ; la voix de bronze de « Ailée »