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une âme à la mer

Où sont les instants bénis, les moments radieux que nous passions en grande intimité pendant les longues traversées ?

Nous vivions en parfaite harmonie et je saisissais ton langage et ta plénitude souveraine lorsque tu étais satisfaite de la façon dont on te faisait naviguer.

Parfois, dans les longs calmes, je faisais mettre le you-you à la mer et j’allais t’admirer toute accalminée ; avec tes grandes voiles vides, tu te reflétais si parfaitement dans l’immobilité avec ta coque noire et tes ailes blanches qu’en me penchant hors du you-you il me semblait pouvoir ramasser tes voiles comme j’aurais cueilli des roses.

Un soir, je me souviens, la lune faisait sur la mer un sillage argenté ; majestueuse, en fendant les flots, tu avançais avec une telle sérénité que l’on eut dit que la nuit, pour faire rayonner ta beauté, avait créé pour toi seule ce chemin de clarté palpitante.



Comment faire pour ne plus parler encore de toi ?

Comment faire pour chasser ta chère silhouette de mes yeux ?

Demande plutôt à la mer d’être toujours la même.

Demande plutôt aux mouettes de ne plus s’envoler jamais.

« Ailée » a choisi dans mon cœur son mouillage.