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HISTOIRE D’HÉRODOTE.

était la seule par où Mélès, autrefois roi de Sardes, n’avait point fait porter le lion[1] qu’il avait eu d’une concubine. Les devins de Telmisse lui avaient prédit que Sardes serait imprenable, si l’on portait le lion autour des murailles. Sur cette prédiction, Mélès l’avait fait porter partout où l’on pouvait attaquer et forcer la citadelle. Mais il avait négligé le côté qui regarde le mont Tmolus, comme imprenable et inaccessible. Hyrœadès avait aperçu la veille un Lydien descendre de la citadelle par cet endroit, pour ramasser son casque qui était roulé du haut en bas, et l’avait vu remonter ensuite par le même chemin. Cette observation le frappa, et lui fit faire des réflexions. Il y monta lui-même, et d’autres Perses après lui, qui furent suivis d’une grande multitude. Ainsi fut prise Sardes, et la ville entière livrée au pillage.

LXXXV. Quant à Crésus, voici quel fut son sort. Il avait un fils, dont j’ai déjà fait mention. Ce fils avait toutes sortes de bonnes qualités, mais il était muet. Dans le temps de sa prospérité, Crésus avait mis tout en usage pour le guérir, et, entre autres moyens, il avait eu recours à l’oracle de Delphes. La Pythie avait répondu : « Lydien, roi de plusieurs peuples, insensé Crésus, ne souhaite pas d’entendre en ton palais la voix tant désirée de ton fils. Il te serait plus avantageux de ne jamais l’entendre : il commencera de parler le jour où commenceront tes malheurs. »

Après la prise de la ville, un Perse allait tuer Crésus sans le connaître. Ce prince le voyait fondre sur lui ; mais, accablé du poids de ses malheurs, il négligeait de l’éviter, et peu lui importait de périr sous ses coups. Le jeune prince muet, à la vue du Perse qui se jetait sur son père, saisi d’effroi, fit un effort qui lui rendit la voix : « Soldat,

  1. J’avais pensé d’abord qu’il y avait une erreur dans le texte ; mais après avoir fait réflexion que le texte disait deux fois le lion ; que d’ailleurs Hérodote était très-superstitieux, et très-ignorant en histoire naturelle, comme on l’était alors ; et que, s’il n’y eût point eu de prodige dans cet accouchement, on n’aurait pas consulté les devins de Telmisse, comme le récit de notre historien prouve manifesteraient qu’on le fit, je me suis déterminé pour ce sentiment. (L.)