Page:Hérodote - Histoire, trad. Larcher, tome 2, 1850.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
ÉRATO, LIVRE VI.

lui intenta une affaire capitale devant le peuple, et l’accusa d’avoir trompé la nation. Miltiade ne comparut point en personne pour se défendre. La gangrène, qui s’était mise à sa cuisse, le retenait au lit, et le mettait dans l’impossibilité de le faire ; mais ses amis prirent en main sa défense, et, rappelant souvent la gloire dont il s’était couvert à la journée de Marathon et à la prise de Lemnos, qu’il avait livrée aux Athéniens après les avoir vengés des Pélasges, ils mirent le peuple dans ses intérêts. Il fut déchargé de la peine de mort, mais condamné pour sa faute à une amende de cinquante talents[1]. La gangrène ayant fait des progrès, il mourut quelque temps après ; et Cimon, son fils, paya les cinquante talents.

CXXXVII. Voici comment Miltiade, fils de Cimon, se rendit maître de l’île de Lemnos. Les Athéniens chassèrent anciennement les Pélasges de l’Attique. S’ils eurent raison, ou s’ils commirent en cela une injustice, c’est ce que je n’entreprendrai point de décider. Je me contente de rapporter ce que l’on en dit. Hécatée, fils d’Hégésandre, raconte dans son Histoire que ce fut injustement. Les Athéniens, dit-il, voyant que le terrain qu’ils avaient cédé aux Pélasges au pied du mont Hymette, pour les récompenser d’avoir élevé le mur qui environne la citadelle, était bien cultivé, quoique auparavant il fût mauvais et de nulle valeur, ils les en chassèrent, sans autre prétexte que leur jalousie et le désir de s’en remettre en possession. Mais les Athéniens prétendent qu’ils le firent justement. Les Pélasges, disent-ils, faisaient du pied du mont Hymette, où ils demeuraient, des incursions sur leurs terres, et insultaient les jeunes filles des Athéniens qui allaient puiser de l’eau à la fontaine appelée Ennéacrounos : car il n’y avait point alors d’esclaves à Athènes, ni dans le reste de la Grèce. Toutes les fois, dis-je, que ces jeunes filles venaient à la fontaine, les Pélasges leur faisaient violence de la manière la plus insultante et la plus méprisante ; et, non contents de ces outrages, ils formèrent le projet de se rendre maîtres de l’État, et ils en furent pleinement con-

  1. 270 000 livres.