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ÉRATO, LIVRE VI.

contraire, vous vous abandonnez à la mollesse, et si vous n’observez aucun ordre, je n’espère point que vous puissiez vous soustraire à la punition de votre révolte. Suivez mes conseils, remettez-vous entre mes mains, et je vous réponds que, si les dieux tiennent la balance égale, les Perses n’en viendront point aux mains avec nous, ou que, s’ils nous attaquent, ils seront battus. »

XII. Ce discours fit une telle impression sur les Ioniens, qu’ils déférèrent à Denys le commandement de la flotte. Celui-ci faisait avancer tous les jours les vaisseaux, présentant un front étroit sur beaucoup de profondeur, et les faisait passer entre les rangs, et se retirer ensuite promptement pour revenir après, afin d’exercer les rameurs et de tenir en haleine les soldats. Le reste du jour il tenait les vaisseaux à l’ancre[1], sans donner aux Ioniens, dans toute la journée, un seul moment de relâche. Les Ioniens obéirent exactement pendant sept jours ; mais le jour après ceux-ci, accablés par la fatigue et l’ardeur du soleil, comme des gens qui n’étaient pas accoutumés à tant de travaux : « Quel dieu, se disaient-ils l’un à l’autre, avons-nous donc offensé, pour essuyer tant de fatigues ? Avons-nous donc perdu le sens et la raison, pour nous remettre entre les mains d’un Phocéen présomptueux qui nous maîtrise, quoiqu’il n’ait fourni que trois vaisseaux, et qui nous accable de travaux insupportables ? Déjà plusieurs d’entre nous ont éprouvé des maladies, beaucoup d’autres en sont menacés. Tout autre mal est préférable à ceux-ci. La servitude qui nous attend serait moins rude que celle que nous éprouvons actuellement. Allons, Ioniens, ne lui obéissons plus. » Ils dirent, et sur-le-

  1. Les Grecs étaient dans l’usage de ranger leurs vaisseaux près de la côte, et de se tenir eux-mêmes à terre. Lorsque les sentinelles apercevaient les vaisseaux ennemis, ils en donnaient avis, et sur-le-champ on montait sur les vaisseaux. On se saurait faire un pas dans l’Histoire hellénique de Xénophon, sans trouver des exemples de cette coutume, qui fut cause de la destruction de la flotte athénienne à Ægos-Potamos. Les Ioniens, à qui le général ne permettait pas d’aller à terre, devaient trouver ce service très-rude ; et, comme ils n’étaient point accoutumés à la discipline militaire, il n’est point étonnant qu’il l’aient regardée comme une servitude dont ils s’empressèrent de secouer le joug. (L.)