Page:Hérodote - Histoire.djvu/12

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pays, comment aurait-il pu en donner une description exacte, et parler avec clarté de l’expédition de Darius chez les Scythes, et de Xerxès dans la Grèce ?


De retour dans sa patrie, il n’y fit pas un long séjour. Lygdamis en était alors tyran. Il était fils de Pisindélis, et petit-fils d’Artémise, qui s’était distinguée à la journée de Salamine. Ce tyran avait fait mourir Panyasis, oncle de notre historien. Celui-ci, ne croyant pas ses jours en sûreté sous un gouvernement soupçonneux et cruel, chercha un asile à Samos. Ce fut dans cette douce retraite qu’il mit en ordre les matériaux qu’il avait apportés, qu’il fit le plan de son histoire et qu’il en composa les premiers livres. La tranquillité et les agréments dont il y jouissait n’éteignirent point en lui le goût de la liberté. Ce goût, inné pour ainsi dire chez les Grecs, joint au puissant désir de la vengeance, lui inspira le dessein de chasser Lygdamis. Dans cette vue il se ligua avec les mécontents, et surtout avec les amis de la liberté. Lorsqu’il crut la partie assez bien liée, il reparut tout à coup à Halicarnasse ; et, s’étant mis à la tête des conjurés, il chassa le tyran. Cette action généreuse n’eut d’autre récompense que la plus noire ingratitude. Il fallait établir une forme de gouvernement qui conservât à tous les citoyens l’égalité, ce droit précieux que tous les hommes apportent en naissant. Mais cela n’était guère possible dans une ville partagée en factions, où des citoyens s’imaginaient avoir par leur naissance et par leurs richesses le privilège de gouverner, et d’exclure des honneurs la classe mitoyenne, ou même de la vexer. L’aristocratie, la pire espèce de tous les gouvernements, était leur idole favorite. Ce n’était pas l’amour de la liberté qui les avait armés contre le tyran, mais le désir de s’attribuer son autorité et de régner avec le même despotisme. La classe mitoyenne et le peuple, qui avaient eu peu de chose à redouter du tyran, crurent perdre au change, en voyant le gouvernement entre les mains d’un petit nombre de citoyens dont il fallait assouvir l’avidité, redouter les caprices et même les soupçons. Hérodote devint odieux aux uns et aux autres : à ceux-ci, parce qu’ils le regardaient comme l’auteur d’une révolution qui avait tourné à leur désavantage ; à ceux-là, parce qu’ils le regardaient comme un ardent défenseur de la démocratie.


En butte aux deux factions qui partageaient l’État, il dit un éternel adieu à sa patrie, et partit pour la Grèce. On célébrait alors la LXXX° olympiade. Hérodote se rendit aux jeux Olympiques : voulant s’immortaliser, et faire sentir en même temps à ses concitoyens quel était l’homme qu’ils avaient forcé à s’expatrier, il lut dans cette assemblée, la plus illustre de la nation, la plus éclairée qui fût jamais, le commencement de son Histoire, ou peut-être les morceaux de cette même Histoire les plus propres à flatter l’orgueil d’un peuple qui avait tant de sujets de se croire supérieur aux autres. Thucydide, qui n’avait encore que quinze ans, mais en