Page:Hérodote - Histoire.djvu/35

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XXXVIII. « — Mon fils, reprit Crésus, si j’agis ainsi, ce n’est pas que j’aie remarqué en toi la moindre lâcheté, ou quelque autre chose qui m’ait déplu ; mais une vision que j’ai eue en songe pendant mon sommeil m’a fait connaitre que tu avais peu de temps à vivre, et que tu devais périr d’une arme de fer. C’est à cause de ce songe que je me suis pressé de te marier ; c’est pour cela que je ne t’envoie pas à cette expédition, et que je prends toutes sortes de précautions pour te dérober, du moins pendant ma vie, au malheur qui te menace. Je n’ai que toi d’enfant : car mon autre fils, privé de l’ouïe, n’existe pas pour moi.

XXXIX. « — Mon père, répliqua le jeune prince, après un pareil songe, je ne t’en veux pas de veiller sur moi ; mais il me semble que tu ne saisis pas le sens de cette vision ; ce que tu ne comprends pas, ce qui t’a échappé dans ce songe, je dois te l’expliquer. Ce songe, dis-tu, a fait connaitre que je devais périr frappé d’une pointe de fer. Mais un sanglier a-t-il des mains ? est-il armé de ce fer aigu que tu crains ? Si ton songe t’eût averti que je dusse mourir d’une défense de sanglier ou de quelque autre manière semblable, il te faudrait faire ce que tu fais : mais il n’est question que d’une pointe de fer. Puis donc que ce ne sont pas des hommes que j’ai à combattre, laisse-moi partir.

XL. « — Mon fils, répond Crésus, ton interprétation est plus juste que la mienne ; et puisque tu m’as vaincu, je change de sentiment et te permets de partir pour la chasse. »

XLI. En même temps il mande le Phrygien Adraste, et lui dit : « Tu étais sous les coups du malheur, Adraste (me préserve le ciel de te le reprocher !) ; je t’ai purifié, je t’ai reçu dans mon palais, où je pourvois à tous tes besoins : prévenu par mes bienfaits, tu me dois quelque retour. Mon fils part pour la chasse ; je te confie la garde de sa personne : préserve-le des brigands qui pourraient vous attaquer sur la route. D’ailleurs il t’importe de rechercher les occasions de te signaler ; tes pères te l’ont enseigné, la vigueur de ton âge le permet.

XLII. « — Seigneur, répondit Adraste, sans un pareil motif je n’irai point à ce combat. Au comble du malheur, me méler à des hommes de mon âge et heureux, cela n’est pas juste,