Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion du genre humain tout entier, et peut-être même de tout l’univers, autant que nous en avons une notion. — Cumberland insiste donc sur la possibilité d’une évolution des instincts élémentaires jusqu’à la générosité, sans avoir besoin comme moyen-terme de l’idée extérieure et mécanique du contrat et il met en outre en relief l’harmonie des biens individuels avec les biens généraux. À ces deux points de vue il jetait des pensées qui furent plus exactement fondées et developpées dans la philosophie anglaise du xviiie siècle et qui de son vivant furent formulées déjà en silence dans l’Éthique de Spinoza et dans la philosophie du droit de Leibniz. L’exposition de Cumberland est encore obscure et imparfaite, mais il a indiqué des problèmes décisifs. D’après le frontispice et la préface, son ouvrage doit tout d’abord sa naissance à l’intention d’être une attaque dirigée contre Hobbes, mais il ne laisse pas d’avoir son importance propre dans l’histoire de l’éthique.

5. — Benoît Spinoza

a) Biographie et caractéristique

Spinoza est le penseur central du XVIIe siècle. Tous les fils de la pensée convergent en lui : mysticisme et naturalisme, intérêt théorique et intérêt pratique, qui chez les autres penseurs du siècle forment une opposition plus ou moins grande entre eux et — là où ils se présentent dans la même personnalité — produisent une dissension intestine, voilà ce qu’il cherche à développer logiquement jusqu’au bout, et la conciliation de ces divers éléments est du même coup trouvée grâce à ce développement logique extrême. Alors que tant de penseurs ne savent réunir les fils de la pensée qu’en les coupant chacun à part pour les renouer d’une façon extérieure, ce qu’il y a de sublime dans la pensée de Spinoza vient de ce qu’elle se refuse à élever des barrières arbitraires ; elle se fie à l’harmonie des divers ordres d’idées fondée par leur essence la plus intime. Par le travail silencieux de sa pensée auquel il employa sa vie, il chercha à faire une œuvre capable d’admettre la nouvelle conception du monde et la science nouvelle, et d’en tirer toutes les conséquences, tout en affirmant la réalité et l’autonomie de l’élément