Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/32

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surtout à lui-même, à sa nature particulière. Il s’ensuit que nous nous représentons la divinité sous une forme humaine, et que nous croyons que dans le monde tout est disposé en vue du bien des hommes. Mais les animaux ne raisonneraient-ils pas de même d’après leur nature ? Quiconque croit avoir quelque connaissance de Dieu, abaisse fatalement Dieu dans l’abîme. De toutes les opinions humaines sur la religion, celle-ci paraît être la plus vraisemblable qui voit en Dieu une puissance incompréhensible, le créateur et le conservateur de toutes choses, la bonté et la perfection mêmes, l’Être qui daigne accepter l’adoration que lui offrent les hommes, sous quelque forme qu’ils le conçoivent et de quelque façon qu’ils lui témoignent leur vénération.

Mais si l’on rejette les opinions orthodoxes, ce n’est pas à dire qu’il faille se prévaloir de la raison humaine. L’homme est la plus misérable, mais aussi la plus orgueilleuse de toutes les créatures. L’orgueil est sa maladie innée. Il se sent supérieur au reste de la création, et pourtant la distance qui le sépare de l’animal n’est pas aussi grande qu’il ne le croit (ce que Montaigne cherche à montrer en énumérant par le détail les traits qui prouvent l’intelligence et le sentiment des animaux). Il n’a aucune raison de s’isoler du groupe des êtres. Sa connaissance est mal en point. Les sens sont incertains et trompent. Nous ne pouvons nous convaincre s’ils nous enseignent la vérité. Ils ne font que nous représenter le monde comme leur nature et leur état le comportent. Ce n’est pas l’objet extérieur, mais l’état des organes des sens qui nous apparaît dans la perception des sens : « les sens ne comprennent pas le subject estrangier, ainsi seulement leurs propres passions ». Pour pouvoir se fier absolument à la sensibilité, il nous faudrait un instrument pour la contrôler — puis un moyen de contrôler cet instrument, et ainsi de suite à l’infini. La raison ne nous fait pas davantage aboutir à un résultat définitif. Chaque motif allégué à l’appui d’une opinion, a besoin lui-même d’un motif, et nous pouvons ainsi reculer continuellement jusqu’à l’infini. Ajoutez à cela que nous-mêmes, aussi bien que les objets, nous nous modifions et nous changeons incessamment ; il n’y a rien de stable ni de constant. Et la richesse en diversités est si grande, qu’il devient