civiles et religieuses : et je me trompe fort ou vous y verrez l’espèce humaine pliée de siècle en siècle au joug qu’une poignée de fripons se promettait de lui composer. Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre le maître des autres en les gênant. » (Supplément au voyage de Bougainville.) Jamais on n’avait exprimé aussi clairement combien l’époque d’alors manquait de la faculté de trouver une filiation historique. Diderot lui-même malgré sa grande habileté à se mettre par la pensée et par le sentiment dans des situations diverses, n’était pas capable de trouver d’explication autre que l’arbitraire et la tyrannie. La distance entre les vœux des individus et la réalité offerte par la société, entre les forces qu’ils se sentaient et le cadre étroit où l’actualité leur permettait d’user de ces forces, était trop grande pour rendre une entente possible. On pouvait tout espérer de l’avenir, mais dans le passé il n’y avait rien à trouver, que des friponneries. — La foi religieuse notamment n’était pour Diderot qu’une source d’effets pernicieux. Il a plus qu’une plaisanterie, quand il dit dans une lettre qu’il donne plutôt tort aux dieux qu’aux hommes. La croyance en un Dieu ne laisse pas d’être nuisible ; elle engendre le mal à deux points de vue. Premièrement, elle entraîne fatalement un culte, et les cérémonies et les dogmes théologiques prennent bientôt la place de la morale naturelle, dont elles dénaturent les lois. Deuxièmement, la somme de souffrance qu’il y a dans le monde contredit l’idée d’un Dieu de bonté ; on en est réduit, pour ménager cette croyance, à toutes les absurdités et à toutes les contradictions. On dépasse ici la raison, comme là on dépasse la morale (Lettres à Mlle Voland, 20 oct. 1760 et 6 oct. 1765).
Diderot discutait souvent ces questions dans le cercle de d’Holbach. Ses lettres nous donnent un tableau vivant de ce cercle. D’Holbach (1723-1789) était un baron allemand, qui s’était établi à Paris dès sa jeunesse ; il rassemblait autour de lui quelques-uns des écrivains les plus radicaux. Il s’occupait de chimie et fut amené (probablement sous l’influence de Diderot) à faire des études de philosophie. Il est hors de doute que les propos tenus par Diderot au cours des fréquentes visites qu’il faisait à d’Holbach, ont fourni à celui-ci le fonde-