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Page:Höffding - Histoire de la philosophie moderne.djvu/518

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toutefois démontrer que Rousseau ait eu connaissance de ces écrits. — La nature trahit une poursuite de fins, une unité de plan qui attestent l’activité d’un Dieu personnel. Mais ici Rousseau se sépare de la « philosophie d’horloger » ordinaire à son siècle. Il prétend en effet que cette harmonie et cette finalité ne sont pas la raison pour laquelle il croit en Dieu. C’est tout le contraire. Sa foi provient d’un besoin de sentiment immédiat. Le doute est pour lui un état insupportable ; lorsque sa raison est hésitante, le sentiment prend une décision de sa propre autorité. Et ce n’est qu’après avoir été ainsi amené à croire par son sentiment intime qu’il peut trouver dans la nature des indices qui abondent dans le sens de ses dogmes. Tout en cherchant continuellement à démontrer la part naturelle et raisonnable de ses assertions, le « vicaire savoyard » ne se lasse pas de déclarer qu’il ne prétend pas philosopher ou professer, il veut seulement peindre ce qu’il sent, et il prie son auditeur de trouver dans son propre sentiment la confirmation de ses dires. Le point de vue pratique du sentiment est la raison péremptoire. Il ne veut pas subtiliser sur l’essence de Dieu, « qu’il n’y soit forcé par le sentiment des rapports de Dieu avec lui »91. Mais Rousseau défend surtout d’une façon catégorique l’origine interne, subjective de la foi dans une fameuse lettre adressée à Voltaire (18 août 1756) et inspirée par le Poème sur le désastre de Lisbonne : il ne croit pas en Dieu parce que tout est bien en ce monde ; il trouve à tout quelque chose de bon, parce qu’il croit en Dieu. Il se fonde, pour prendre la défense de l’optimisme critiqué par Voltaire, sur les sources de joie et de satisfaction contenues dans les grands faits élémentaires de la vie, sources ignorées du mondain raffiné ; il souligne en particulier « le doux sentiment de l’existence indépendamment de toute autre sensation ». En même temps il admet que les maux de l’individu peuvent être nécessaires à la grande harmonie universelle, et il trouve la consolation suprême dans la croyance à l’immortalité. Le fondement véritablé de l’optimisme qu’il défend malgré son état maladif et misérable contre Voltaire, qui vit entouré d’honneurs, de richesses et de magnificence, c’est la puissance d’émotion qu’il met dans le sentiment religieux ; elle lui fait crier à Voltaire : « Vous jouissez, mais j’espère ! »