Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/108

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autres fut muni d’un tube similaire, et les sept géants se disposèrent à égales distances en une ligne courbe entre St George’s Hill, Weybridge, et le village de Send, au sud-ouest de Ripley.

Aussitôt qu’ils se furent mis en mouvement, une douzaine de fusées montèrent des collines pour avertir les batteries de Ditton et de Esher. En même temps, quatre des engins de combat, armés de leurs tubes, traversèrent la rivière, et deux d’entre eux, se détachant en noir contre le ciel occidental, nous apparurent, tandis que le vicaire et moi, las et endoloris, nous nous hâtions sur la route qui monte vers le Nord, au sortir d’Halliford. Ils avançaient nous sembla-t-il, sur un nuage, car une brume laiteuse couvrait les champs et s’élevait jusqu’au tiers de leur hauteur.

À cette vue, le vicaire poussa un faible cri rauque et se mit à courir ; mais je savais qu’il était inutile de se sauver devant un Marsien, et, me jetant de côté, je me glissai entre des buissons de ronces et d’orties, au fond du grand fossé qui bordait la route. S’étant retourné, le vicaire m’aperçut et vint me rejoindre.

Les deux Marsiens s’arrêtèrent, le plus proche de nous debout, en face de Sunbury ; le plus éloigné n’étant qu’une tache grise indistincte du côté de l’étoile du soir, vers Staines.

Les hurlements que poussaient de temps à autre les Marsiens avaient cessé. Dans le plus grand silence, ils prirent position en une vaste courbe sur une ligne de douze milles d’étendue. Jamais, depuis l’invention de la poudre, un commencement de bataille n’avait été aussi paisible. Pour nous, aussi bien que pour quelqu’un qui, de Ripley, aurait pu examiner les choses, les Marsiens faisaient l’effet d’être les maîtres uniques de la nuit ténébreuse, à peine éclairée qu’elle était par un mince croissant de lune, par les étoiles, les lueurs attardées du couchant, et les reflets rougeâtres des incendies de St George’s Hill et des bois en flammes de Painshill.

Mais, faisant partout face à cette ligne d’attaque, à Staines, à Hounslow, à Ditton, à Esher, à Ockham, derrière les collines et les bois au sud du fleuve, au nord dans les grasses prairies basses, partout où un village ou un bouquet d’arbres offrait un suffisant abri, des canons attendaient. Les fusées-signaux éclatèrent, laissèrent pleuvoir leurs étincelles à travers la nuit et s’évanouirent, surexcitant d’une impatience inquiète tous ceux qui servaient ces batteries. Dès que les Marsiens se seraient avancés jusqu’à portée des bouches à feu, immédiatement, ces formes noires d’hommes immobiles seraient secouées par l’ardeur du combat, ces canons, aux reflets sombres dans la nuit tombante, cracheraient un furieux tonnerre.

Sans doute, la pensée qui préoccupait la plupart de ces cerveaux vigilants, de même qu’elle était ma seule perplexité, était cette énigmatique question de savoir ce que les Marsiens comprenaient de nous. Se rendaient-ils compte que nos millions d’individus étaient organisés, disciplinés, unis pour la même œuvre ? Ou bien, interprétaient-ils ces jaillissements de flamme, les vols soudains de nos obus,