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animaux inférieurs. En vérité, leur seul moyen d’échapper à la destruction qui, génération après génération, se glisse lentement vers eux, est de s’emparer, pour pouvoir y vivre, d’un astre plus rapproché du soleil.

Avant de les juger trop sévèrement, il faut nous remettre en mémoire quelles entières et barbares destructions furent accomplies par notre propre race, non seulement sur des espèces animales, comme le bison et le dodo, mais sur les races humaines inférieures. Les Tasmaniens, en dépit de leur conformation humaine, furent en l’espace de cinquante ans entièrement balayés du monde dans une guerre d’extermination engagée par des immigrants européens. Sommes-nous de tels apôtres de miséricorde que nous puissions nous plaindre de ce que les Marsiens aient fait la guerre dans ce même esprit ?

Les Marsiens semblent avoir calculé leur descente avec une sûre et étonnante subtilité — leur science mathématique étant évidemment bien supérieure à la nôtre — et avoir mené leurs préparatifs à bonne fin avec une presque parfaite unanimité. Si nos instruments l’avaient permis, on aurait pu, longtemps avant la fin du dix-neuvième siècle, apercevoir des signes des prochaines perturbations. Des hommes comme Schiaparelli observèrent la planète rouge, — il est curieux, soit dit en passant, que, pendant d’innombrables siècles, Mars ait été l’étoile de la guerre, — mais ne surent pas interpréter les fluctuations apparentes des phénomènes qu’ils enregistraient si exactement. Pendant tout ce temps les Marsiens se préparaient.

À l’opposition de 1894, une grande lueur fut aperçue, sur la partie éclairée du disque, d’abord par l’observatoire de Lick, puis par Perrotin de Nice et d’autres observateurs. Je ne suis pas loin de penser que ce phénomène inaccoutumé n’ait eu pour cause la fonte de l’immense canon, trou énorme creusé dans leur planète, au moyen duquel ils nous envoyèrent leurs projectiles. Des signes particuliers, qu’on ne sut expliquer, furent observés lors des deux oppositions suivantes, près de l’endroit où la lueur s’était produite.

Il y a six ans maintenant que le cataclysme s’est abattu sur nous. Comme la planète Mars approchait de l’opposition, Lavelle, de Java, fit palpiter tout à coup les fils transmetteurs des communications astronomiques, avec l’extraordinaire nouvelle d’une immense explosion de gaz incandescent dans la planète observée. Le fait s’était produit vers minuit et le spectroscope, auquel il eut immédiatement recours, indiqua une masse de gaz enflammés, principalement de l’hydrogène, s’avançant avec une vélocité énorme vers la terre. Ce jet de feu devint invisible un quart d’heure après minuit environ. Il le compara à une colossale bouffée de flamme, soudainement et violemment jaillie de la planète « comme les gaz enflammés se précipitent hors de la gueule d’un canon ».

La phrase se trouvait être singulièrement appropriée. Cependant, rien de relatif à ce fait ne parut dans les journaux du lendemain, sauf une brève note dans le « Daily Telegraph » et le monde demeura dans l’ignorance d’un des plus graves dangers qui aient jamais menacé la race humaine. J’aurais très bien pu ne rien savoir

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