Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/160

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affirmé, du moins, dans la brochure remarquable, mais hâtivement rédigée — écrite évidemment par quelqu’un qui ne fut pas témoin oculaire des mouvements des Marsiens — à laquelle j’ai déjà fait allusion et qui a été, jusqu’ici, la principale source d’information concernant ces êtres. Or, aucun de ceux qui survécurent ne vit mieux que moi les Marsiens à l’œuvre, sans que je veuille pour cela me glorifier d’une circonstance purement accidentelle, mais le fait est exact. Aussi je puis affirmer que je les ai maintes fois observés de très près, que j’ai vu quatre, cinq et une fois six d’entre eux, exécutant indolemment ensemble les opérations les plus compliquées et les plus élaborées, sans le moindre son ni le moindre geste. Leur cri particulier précédait invariablement leur espèce de repas ; il n’avait aucune modulation et n’était, je crois, en aucun sens un signal, mais simplement une expiration d’air, nécessaire avant la succion. Je peux prétendre à une connaissance au moins élémentaire de la psychologie et à ce sujet je suis convaincu — aussi fermement qu’il est possible de l’être — que les Marsiens échangeaient leurs pensées sans aucun intermédiaire physique et j’ai acquis cette conviction malgré mes doutes antérieurs et de fortes préventions. Avant l’invasion marsienne, comme quelque lecteur se le rappellera peut-être, j’avais, avec quelque véhémence, essayé de réfuter la transmission de la pensée et les théories télépathiques.

Les Marsiens ne portaient aucun vêtement. Leurs idées sur le décorum et les ornements extérieurs étaient nécessairement différentes des nôtres et ils n’étaient nécessairement pas seulement beaucoup moins sensibles aux changements de température que nous ne le sommes, mais les changements de pression atmosphérique ne semblent pas avoir sérieusement affecté leur santé. Pourtant, s’ils ne portaient aucun vêtement, d’autres additions artificielles à leurs ressources leur donnaient une grande supériorité sur l’homme. Nous autres, humains, avec nos cycles et nos patins de route, avec les machines volantes Lilienthal, avec nos bâtons et nos canons, ne sommes encore qu’au début de l’évolution au terme de laquelle les Marsiens sont parvenus. En réalité, ils se sont transformés en simples cerveaux, revêtant des corps divers suivant leurs besoins différents, de la même façon que nous revêtons nos divers costumes et prenons une bicyclette pour une course pressée ou un parapluie s’il pleut. Rien peut-être, dans tous leurs appareils, n’est plus surprenant pour l’homme que l’absence de la « roue », ce trait dominant de presque tous les mécanismes humains. Parmi toutes les choses qu’ils apportèrent sur la terre, rien n’indique qu’ils emploient le cercle. On se serait attendu du moins à le trouver dans leurs appareils de locomotion. À ce propos, il est curieux de remarquer que, même ici-bas, la nature paraît avoir dédaigné la roue ou qu’elle lui ait préféré d’autres moyens. Non seulement les Marsiens ne connaissent pas la roue — ce qui est incroyable — ou s’abstenaient de l’employer, mais même ils se servaient singulièrement peu, dans leurs appareils, du pivot mobile avec des mouvements circulaires dans un seul plan. Presque tous les joints de leurs mécanismes présentent un système compliqué de coulisses se mouvant sur de petits appuis et des coussinets de friction