Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/191

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mes prières comme les païens murmurent des charmes conjurateurs. Mais cette fois je priais réellement, implorant avec ferveur la divinité, face à face avec les ténèbres. Nuit étrange, et plus étrange encore en ceci, que aussitôt que parut l’aurore, moi, qui m’étais entretenu avec la Divinité, je me glissai hors de la maison comme un rat quitte son trou — créature à peine plus grande, animal inférieur qui, selon le caprice passager de nos maîtres, pouvais être traqué et tué. Les Marsiens, eux aussi, invoquaient peut-être Dieu avec confiance. À coup sûr, si nous ne retenons rien autre de cette guerre, elle nous aura cependant appris la pitié — la pitié pour ces âmes dépourvues de raison qui subissent notre domination.

L’aube était resplendissante et claire ; à l’orient, le ciel, que sillonnaient de petits nuages dorés, s’animait de reflets roses. Sur la route qui va du haut de la colline de Putney jusqu’à Wimbledon, traînaient un certain nombre de vestiges pitoyables, restes de la déroute qui, dans la soirée du dimanche où commença la dévastation, dut pousser vers Londres tous les habitants de la contrée. Il y avait là une petite voiture à deux roues sur laquelle était peint le nom de Thomas Lobbe, fruitier à New Malden ; une des roues était brisée et une caisse de métal gisait auprès, abandonnée ; il y avait aussi un chapeau de paille piétiné dans la boue, maintenant séchée, et au sommet de la côte de West Hill je trouvai un tas de verre écrasé et taché de sang, auprès de l’abreuvoir en pierre qu’on avait renversé et brisé. Mes plans étaient de plus en plus vagues et mes mouvements de plus en plus incertains ; j’avais toujours l’idée d’aller à Leatherhead, et pourtant j’étais convaincu que, selon toutes probabilités, ma femme ne pouvait s’y trouver. Car, à moins que la mort ne les ait surpris à l’improviste, mes cousins et elle avaient dû fuir dès les premières menaces de danger. Mais je m’imaginais que je pour rais, tout au moins, apprendre là de quel côté s’étaient enfuis les habitants du Surrey. Je savais que je voulais retrouver ma femme, que mon cœur souffrait de son absence et du manque de toute société, mais je n’avais aucune idée bien claire quant aux moyens de la retrouver, et je sentais avec une intensité croissante mon entier isolement. Je parvins alors, après avoir traversé un taillis d’arbres et de buissons, à la lisière des communaux de Wimbledon, dont les haies, les arbres et les prés s’étendaient au loin sous mes yeux.

Cet espace encore sombre s’éclairait, par endroits, d’ajoncs et de genêts jaunes. Je ne vis nulle part d’Herbe Rouge, et tandis que je rôdais entre les arbustes, hésitant à m’aventurer à découvert, le soleil se leva, inondant tout de lumière et de vie. Dans un pli de terrain marécageux, entre les arbres, je tombai au milieu d’une multitude de petites grenouilles. Je m’arrêtai à les observer, tirant de leur obstination à vivre une leçon pour moi-même. Soudain, j’eus la sensation bizarre que quelqu’un m’épiait et, me retournant brusquement, j’aperçus dans un fourré quelque chose qui s’y blottissait. Pour mieux voir, je fis un pas en avant. La chose se dressa : c’était un homme armé d’un coutelas. Je m’approchai lentement de lui et il me regarda venir, silencieux et immobile.