Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/30

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de fougueux dans la peau brune huileuse, quelque chose d’inexprimablement terrible dans la maladroite assurance de leurs lents mouvements. Même à cette première rencontre, je fus saisi de dégoût et d’épouvante.

Soudain le monstre disparut. Il avait chancelé sur le bord du cylindre et dégringolé dans le trou avec un bruit semblable à celui que produirait une grosse masse de cuir. Je l’entendis pousser un singulier cri rauque et immédiatement après une autre de ces créatures apparut vaguement dans l’ombre épaisse de l’ouverture. Alors mon accès de terreur cessa. Je me détournai et dans une course folle m’élançai vers le premier groupe d’arbres, à environ cent mètres de là. Mais je courais obliquement et en trébuchant, car je ne pouvais détourner mes regards de ces choses.

Parmi quelques jeunes sapins et des buissons de genêts, je m’arrêtai haletant, anxieux de ce qui allait se produire. La lande, autour du trou, était couverte de gens épars, comme moi à demi fascinés de terreur, épiant ces créatures, ou plutôt l’amas de gravier bordant le trou dans lequel elles étaient. Alors, avec une horreur nouvelle, je vis un objet rond et noir s’agiter au bord du talus. C’était la tête du boutiquier qui était tombé dans la fosse, et cette tête semblait un petit point noir contre les flammes du ciel occidental. Il parvint à sortir une épaule et un genou, mais il parut retomber de nouveau et sa tête seule resta visible. Soudain il disparut et je m’imaginai qu’un faible cri venait jusqu’à moi. Une impulsion irraisonnée m’ordonna d’aller à son aide, sans que je pusse surmonter mes craintes.

Tout devint alors invisible, caché dans la fosse profonde et par le tas de sable que la chute du cylindre avait amoncelé. Quiconque serait venu par la route de Chobham ou de Woking eût été fort étonné de voir une centaine de gens environ, en un grand cercle irrégulier dissimulés dans des fossés, derrière des buissons, des barrières, des haies, ne se parlant que par cris brefs et rapides, et les yeux fixés obstinément sur quelques tas de sable. La brouette de provisions, épave baroque, était restée sur le talus, noire contre le ciel en feu, et dans le chemin creux était une rangée de véhicules abandonnés, dont les chevaux frappaient de leurs sabots le sol ou achevaient la pitance d’avoine de leurs musettes.