Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/63

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Vue de près, la chose était incomparablement étrange, car ce n’était pas simplement une machine insensée passant droit son chemin. C’était une machine cependant, avec une allure mécanique et un fracas métallique, avec de longs tentacules flexibles et luisants — l’un d’entre eux tenait un jeune sapin — se balançant bruyamment autour de ce corps étrange. Elle choisissait ses pas en avançant et l’espèce de chapeau d’airain qui la surmontait se mouvait en tous sens avec l’inévitable suggestion d’une tête regardant tout autour d’elle. Derrière la masse principale se trouvait une énorme chose de métal blanchâtre, semblable à un gigantesque panier de pêcheur, et je vis des bouffées de fumée s’échapper des interstices de ses membres quand le monstre passa près de moi. En quelques pas, il était déjà loin.

C’est tout ce que j’en vis alors, très vaguement, dans l’éblouissement des éclairs, pendant les intervalles consécutifs de lumière intense et d’épaisses ténèbres. Quand il passa près de moi, le monstre poussa une sorte de hurlement violent et assourdissant qui s’entendit par-dessus le tonnerre : Alouh ! Alouh ! — au même instant, il rejoignait déjà son compagnon, à un demi-mille de là, et ils se penchaient maintenant au-dessus de quelque chose dans un champ. Je ne doute pas que l’objet de leur attention n’ait été le troisième des dix cylindres qu’ils nous avaient envoyés de leur planète.

Pendant quelques minutes, je restai là dans les ténèbres et sous la pluie, épiant, aux lueurs intermittentes des éclairs, ces monstrueux êtres de métal, se mouvant dans la distance, par-dessus les haies. Une fine grêle commença de tomber, et, suivant qu’elle était plus ou moins épaisse, leurs formes s’embrumaient ou redevenaient claires. De temps en temps les éclairs cessaient et l’obscurité les engloutissait.

Je fus bientôt trempé par la grêle qui fondait et par l’eau bourbeuse. Il se passa quelque temps avant que ma stupéfaction me permît de me relever contre le talus dans une position plus sèche et de songer au péril imminent.

Non loin de moi, dans un petit champ de pommes de terre, se trouvait une cabane en bois ; je parvins à me relever, puis, courbé et profitant du moindre abri, je l’atteignis en hâte. Je frappai à la porte mais personne — s’il était quelqu’un à l’intérieur — ne m’entendit et au bout d’un instant j’y renonçai ; en suivant un fossé je parvins, à demi rampant et sans être aperçu des monstrueuses machines, jusqu’au bois de sapins.

À l’abri, maintenant, je continuai ma route, trempé et grelottant, jusqu’à ma maison. J’avançais entre les troncs, tâchant de retrouver le sentier. Il faisait très sombre dans le bois, car les éclairs devenaient de moins en moins fréquents et la grêle, par rafales, tombait en colonnes épaisses à travers les interstices des branchages.

Si je m’étais pleinement rendu compte de la signification de toutes les choses que j’avais vues, j’aurais dû immédiatement essayer de retrouver mon chemin par Byfleet vers Street Cobham et aller par ce détour rejoindre ma femme à Leatherhead. Mais, cette nuit-là, l’étrangeté des choses qui survenaient et mon misérable état physique m’ahurissaient, car j’étais meurtri, accablé, trempé jusqu’aux os, assourdi et aveuglé par l’orage.