Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

j’avais sous les yeux un vaste flanc de colline, parsemé de langues de feu agitées et tordues par les rafales de la tempête qui s’apaisait et projetait de rouges réflexions sur la course fantastique des nuages. De temps à autre, une masse de fumée, venant de quelque incendie plus proche, passait devant la fenêtre et cachait les silhouettes des Marsiens. Je ne pouvais voir ce qu’ils faisaient, ni leur forme distincte, non plus que reconnaître les objets noirs qui les occupaient si activement» Je ne pouvais voir non plus où se trouvait l’incendie dont les réflexions dansaient sur le mur et le plafond de mon cabinet» Une âcre odeur résineuse emplissait l’air.

Je fermai la porte sans bruit et me glissai jusqu’à la fenêtre. À mesure que j’avançais, la vue s’élargissait jusqu’à atteindre, d’un côté, les maisons situées près de la gare de Woking, et, de l’autre, les bois de sapins consumés et carbonisés près de Byfleet. Il y avait des flammes au bas de la colline, sur la voie du chemin de fer, près du pont, et plusieurs des maisons qui bordaient la route de Maybury et les chemins menant à la gare, n’étaient plus que des ruines ardentes. Les flammes de la voie m’intriguèrent d’abord. Il y avait un amoncellement noir et de vives lueurs, avec, sur la droite, une rangée de formes oblongues. Je m’aperçus alors que c’étaient les débris d’un train, l’avant brisé et en flammes, les wagons d’arrière encore sur les rails.

Entre ces trois principaux centres de lumière, les maisons, le train, et la contrée incendiée vers Chobham, s’étendaient des espaces irréguliers de campagne sombre interrompus ici et là par des intervalles de champs fumant et brûlant faiblement ; c’était un fort étrange spectacle, cette étendue noire, coupée de flammes, qui rappelait plus qu’autre chose les fourneaux des verreries dans la nuit. D’abord, je ne pus distinguer la moindre personne vivante, bien que je fusse très attentionné à en découvrir. Plus tard j’aperçus contre la clarté de la gare de Woking un certain nombre de formes noires qui traversaient en hâte la ligne les unes derrière les autres.

Ce chaos ardent, c’était le petit monde dans lequel j’avais vécu en sécurité pendant des années ! Je ne savais pas encore ce qui s’était produit pendant ces sept dernières heures, et j’ignorais, bien qu’un peu de réflexion m’eût permis de le deviner, quelle relation existait entre ces colosses mécaniques et les êtres indolents et massifs que j’avais vu vomir par le cylindre. Poussé par une bizarre et impersonnelle curiosité, je tournai mon fauteuil vers la fenêtre et contemplai la contrée obscure, observant particulièrement dans les carrières les trois gigantesques silhouettes qui s’agitaient en tous sens à la clarté des flammes.

Elles semblaient extraordinairement affairées. Je commençai à me demander ce que ce pouvait bien être. Étaient-ce des mécanismes intelligents ? Une pareille chose, je le savais, était impossible. Ou bien un Marsien était-il installé à l’intérieur de chacun, le gouvernant, le dirigeant, s’en servant à la façon dont un cerveau d’homme gouverne et dirige son corps ? Je cherchai à comparer ces choses à des machines humaines ; je me demandai, pour la première fois de ma vie, quelle idée pouvait se faire d’une machine à vapeur ou d’un cuirassé, un animal inférieur intelligent.