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Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/74

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emplît de whisky et nous garnîmes toutes nos poches de paquets de biscuits et de tranches de viande. Ensuite, nous nous glissâmes hors de la maison et courûmes de toutes nos forces jusqu’au bas du chemin raboteux par où j’étais venu la nuit précédente. Les maisons paraissaient désertes. En route, nous rencontrâmes un groupe de trois cadavres carbonisés, tombés ensemble quand le Rayon Ardent les atteignit ; ici et là, des objets que les gens avaient laissé tomber — une pendule, une pantoufle, une cuiller d’argent et de pauvres choses précieuses de ce genre. Au coin de la rue, qui monte vers la poste, une petite voiture non attelée, chargée de malles et de meubles, était renversée sur ses roues brisées. Une cassette, dont on avait fait sauter le couvercle, avait été jetée sous les débris.

À part la loge de l’orphelinat qui brûlait encore, aucune des maisons n’avait souffert beaucoup de ce côté-ci. Le Rayon Ardent n’avait fait que raser les cheminées en passant. Cependant, hormis nous deux, il ne semblait pas y avoir une seule personne vivante dans Maybury. Les habitants s’étaient enfuis en grande partie, par la route d’Old Woking, je suppose, — la même route que j’avais suivie pour aller à Leatherhead — ou bien ils s’étaient cachés.

Nous descendîmes le chemin, passant de nouveau près du cadavre de l’homme en noir, trempé par la grêle de la nuit précédente, et nous entrâmes dans les bois, au pied de la colline. Nous arrivâmes ainsi jusqu’au chemin de fer sans rencontrer âme qui vive. De l’autre côté de la ligne, les bois n’étaient plus que des débris consumés et noircis. Pour la plupart, les arbres étaient tombés, mais un certain nombre étaient encore debout, troncs gris et désolés, avec un feuillage roussi au lieu de leur verdure de la veille.

Du côté que nous suivions, le feu n’avait rien fait de plus qu’écorcher les arbres les plus proches, sans réussir à prendre de pires proportions. À un endroit, les bûcherons avaient laissé leur travail interrompu. Des arbres, abattus et fraîchement émondés, étaient entassés dans une clairière, avec, auprès d’une scie à vapeur, des tas de sciure. Tout près de là était une hutte de terre et de branchages, désertée. Il n’y avait, à cette heure, le moindre souffle de vent et toutes choses étaient étrangement tranquilles. Même les oiseaux se taisaient et dans notre marche précipitée, l’artilleur et moi parlions à voix basse en jetant de temps en temps un regard furtif par-dessus notre épaule. Une fois ou deux nous nous arrêtâmes pour écouter.

Au bout d’un certain temps, nous eûmes rejoint la route ; à ce moment nous entendîmes un bruit de sabots de chevaux et nous aperçûmes, à travers les troncs d’arbres, trois cavaliers avançant lentement vers Woking. Nous les hélâmes et ils firent halte, tandis que nous accourions en toute hâte vers eux. C’était un lieutenant et deux cavaliers du 8e hussards, avec un instrument semblable à un théodolite, que l’artilleur me dit être un héliographe.

— Vous êtes les premiers que j’ai rencontrés ce matin venant de cette direction, me dit le lieutenant. Que se prépare-t-il par là ?

Sa voix et son regard disaient toute son inquiétude. Les hommes, derrière