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Remarque I. Pour accentuer un datif atone, on le rappelle aujourd’hui par un pronom tonique accompagné de à, ou l’on a recours à la tournure avec c’est[1]. L’ancienne langue se servait dans ce cas seulement du pronom tonique[2]. Aubert exigeait l’emploi moderne, et voulait que l’on dît : Nous nous déguisons à nous-mêmes nos défauts ; mais on trouve au xviie siècle : Vraiment, n’ayez point peur, et laissez faire à nous. (Mol., Dép. am., II, 4, 645.) — Ô pauvres, que vous êtes heureux, parce qu’à vous appartient le royaume de Dieu. (Boss., Serm. Dignité des pauvres, 1.) — Qui est semblable à vous ? (Fén., Exist., II, 3, 48.) — Et ici je ne puis m’empêcher de le dire à vous, mes frères, que la grâce a retirés des égaremens du monde, etc. (Mass., Car., Mélange des Bons et des Méchans, 1.)

Remarque II. Quand des pronoms toniques ou un pronom et un substantif sont coordonnés comme sujets, on les rappelle devant le verbe par un pronom atone. Cet usage, qui tend à prévaloir depuis le xive siècle, n’est pas toutefois encore rigoureusement établi ; on trouve de même au xviie siècle des traces nombreuses de l’ancien usage qui dans ce cas n’employait pas le pronom atone. Ex. : Ni moi ni mes affaires ne valons pas les soins que vous en prenez. (Balz., Lettr., X, 17.) — Albert et moi sommes tombés d’accord. (Mol., Dép. am., V, 6, 1667.) La même règle subsiste et la même omission est admise pour des pronoms ou pour un pronom et un substantif, coordonnés comme compléments. Aussi des phrases comme celles-ci n’ont-elles rien d’extraordinaire : Pénélope, ne voyant revenir ni lui, ni moi, n’aura pu résister à tant de prétendans (au lieu de : ne nous voyant revenir ni lui ni moi). (Fén., Tél., VI.) Au xviie siècle on rencontre souvent la coordination d’un pronom atone qui précède le verbe et d’un substantif qui le suit. La langue actuelle n’admet plus cette construction. Ex. : Il ne laissa pas d’aller sans conducteurs s’exposant et tant de braves hommes à la merci d’un fleuve inconnu. (Vaugel., Q.-C., IX, 9.) — Adam... se perdit et tout le genre humain. (Pasc., Pens., Il, 28.) — Dieu te circoncira le cœur et à tes enfants. (Id., I, 305.) — Puisse-t-il te confondre et celui qui t’envoie. (Mol., Tart., V, 4, 1810.) — Te confondent les dieux et toute ta séquelle. (La Font., L’Eun., Il, 3, 546.) — Je vous aime et je vous honore parfaitement et votre chère femme. (Sév., VII, 179.) — Je voulois avoir vu Mad. la marquise de L., Madame, avant de vous faire mes complimens et à Mad. Fagon sur ce mariage. (Maint., Corr., IV, 77.) — Athènes, incertaine, Parle de vous, me nomme et le fils de la reine. (Rac., Phèdre, II, 2, 486.) — Vaugelas (II, 429) dit qu’il avait écrit dans sa traduction de Quinte-Curce : ce qui lui fut accordé et à son frère, tandis que l’Académie aurait voulu : Ce qui fut accordé à lui et à son frère. — Il en était de même pour la

  1. On me l’a confié, à moi. C’est à moi qu’on l’a confié.
  2. À moy ce dur message, Quel qu’il soit, appartient. (L. Garnier, La Troade, acte I, v. 277.)