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Page:Halévy - Ba-ta-clan, 1855.djvu/17

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MATHIEU.

Je serais curieux de voir ça.

REINETTE.

Eh ben, vous allez l’voir, et tout de suite encore. (Prenant son bâton.) T’nez, v’là mon fusil.

MATHIEU.

Et moi… qu’est-ce que je ferai pendant ce temps-là ?

REINETTE.

Vous jouerez du tambour sur vot’violon.

MATHIEU.

Va pour le tambour.

DUO.
REINETTE.
Le clairon sonne à la parade.
Vous allez fair’le commandant,
Moi, l’grenadier…
MATHIEU.
Moi, l’grenadier… … Quel camarade !
REINETTE.
Je vais vous suivre en vous r’gardant.
MATHIEU.
Comment ! tu veux !
REINETTE.
Sur vot’démarche
J’emboit’rai pas. C’est pas douteux.
MATHIEU.
Soit ; garde à vous !…
REINETTE.
Soit ; garde à vous !… En avant, marche !
MATHIEU.
Paix dans les rangs ! En avant marche !
ENSEMBLE.
Rataplan, plan, plan, plan, plan, plan,
Ah ! comm’c’est plein de charmes.
Viv’le métier des armes !
Ah ! le bel état
Que celui de soldat !
REINETTE.
Le canon tonne, on fait la guerre,
Vous allez m’voir marcher au feu.
C’est vous l’ennemi !…
MATHIEU.
C’est vous l’ennemi !… … Ça n’me va guère.
REINETTE.
Laissez-vous tuer un tout p’tit peu.
MATHIEU.
Tu m’pouss’s trop fort…
REINETTE.
Tu m’pouss’s trop fort… … On bat la charge.
Moi, j’veux gagner la croix d’honneur.
MATHIEU.
Mais tu m’fais mal…
REINETTE.
Mais tu m’fais mal… … Tant pis ! Au large !
MATHIEU.
Veux-tu finir. — Voici l’empereur !
ENSEMBLE.
Ran plan, plan, plan, etc.
MATHIEU.

Maintenant, rendez-moi vos armes, mon joli fantassin, et écoutez-moi.

REINETTE, faisant le salut militaire.

À vos ordres, commandant.

MATHIEU, à part.

Petit démon, va ! (Haut.) Ainsi, tu es décidée à épouser Pierre.

REINETTE.

C’est naturel, puisque j’l’aime.

MATHIEU.

Et s’il part, tu veux l’suivre ?

REINETTE,

Oh ! ça, je vous l’jure.

MATHIEU.

Il s’agit donc, pour que tu ne me quittes pas, de le faire rester au pays ?

REINETTE, vivement.

Vous allez lui prêter les 2, 000 francs ?

MATHIEU, haussant les épaules.

Moi ! mignonne, et comment ?

REINETTE.

En vendant vot’violon.

MATHIEU, le serrant dans ses bras.

Jamais !

REINETTE.

Je n’vous comprends plus, mon parrain.

MATHIEU.

Ceci me regarde. (À part.) Qui sait !… je réussirai peut-être. Je ne suis guère le bienvenu au château ; mais un jour de noce, et puis elle est si bonne, la demoiselle du château. (Haut.) Attends-moi là, mignonne ; je reviens dans un instant.

(En courant, son bâton cogne son violon ; il s’arrête tout ému.)

REINETTE, allant à lui.

Qu’avez-vous, mon parrain ?

MATHIEU.

Rien… rien… Dieu merci ! En courant, j’ai cru…

(Il examine son violon.)

REINETTE.

Et puis… vous auriez dit que c’était ma faute… Laissez-le ici, mon parrain.

MATHIEU.

Non.

REINETTE, les mains jointes.

Oh ! je vous en prie… vous reviendrez plus vite.

MATHIEU.

Tu le veux… Allons ! tiens, le voilà. Garde-le bien pendant mon absence… (Fausse sortie.) Tu m’en réponds… songes-y.

REINETTE.

Sur ma tête, mon parrain, sur ma tête.

MATHIEU.

Foi de père Mathieu, c’est lui qui te feras danser à ta noce.



Scène V.

REINETTE, seule, s’adressant au violon.

Oh ! oui… qu’j’en aurai soin et qu’je l’dorlot’rai et qu’je l’mettrai dans une belle petite boîte de coton pour qu’il dure cent ans et plus. Et Pierre aussi t’aimera et t’dorlotera, je te le promets.

(Elle embrasse le violon à plusieurs reprises.)